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morale de la musique est assurément ce qui tient le plus au cœur du philosophe musicien.


Pourquoi les sensations auditives sont-elles les seules qui exercent une action morale ?
Car la mélodie, même sans paroles, agit sur le sentiment, tandis que les couleurs, les odeurs et les saveurs n’ont point d’action semblable.
Est-ce parce que les impressions de l’ouïe seules sont (en musique) accompagnées d’une commotion ?
Et il ne s’agit pas ici de la simple commotion (physiologique) produite par le bruit.
Car une pareille commotion se produit aussi dans les autres impressions sensorielles. Ainsi, par exemple, la couleur met en mouvement l’organe de la vue.
Mais (j’entends ici) la commotion particulière ressentie à la suite d’un bruit musical.
Les impressions des sens autres que l’ouïe ne présentent rien de pareil.


Il semble ici qu’Aristote se laisse entraîner trop loin et que l’amour de la musique le rende injuste envers les autres arts. Passe pour les odeurs et les saveurs, pour le goût et l’odorat, ces deux sens dont il n’y a point d’art. Mais la vue ! Notre œil n’est pas moins que notre oreille un témoin, un intermédiaire, un interprète de beauté. Le monde des formes et des couleurs est comme celui des sons une image, une projection au dehors du monde de l’âme. La peinture, la statuaire, l’architecture même portent en elles et manifestent par leurs chefs-d’œuvre un principe sentimental, un élément de moralité. Une toile, un marbre, un temple peut valoir à cet égard une symphonie, et l’éthos des Léonard, des Michel-Ange et des Raphaël ne le cède à celui des Bach, des Beethoven et des Mozart ni pour la noblesse ni pour la pureté.

Si, dans cet ordre supérieur, Aristote a fait trop de place à la musique en lui donnant toute la place ; si la musique ici ne règne pas sans partage, elle y est du moins la mieux partagée. En vertu de sa nature propre, elle y exerce non seulement des droits, mais des privilèges.

Tandis que la peinture et la sculpture, s’adressant à l’organe de la vue, imitent les objets extérieurs et les personnes à l’aide des couleurs et des formes, χρώμασι ϰαὶ σχήμασι (choômasi kai schêmasi), les arts musiques, qui agissent par l’intermédiaire du