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essentiel du système : l’arbitraire. Jusqu’à la fin, la taille, l’odieuse, l’abominable, la détestée taille personnelle, resta le tribut imposé par le plus fort au plus faible, l’impôt payé par un contribuable qui ne l’avait pas consenti. Oui, l’immense et formidable concert des lamentations qui ne cessent de retentir jusqu’en 1789 se résume en définitive presque tout entier en ceci : le grief capital, celui qui domina tous les autres, c’était l’arbitraire, c’est-à-dire le non-consentement de l’impôt par ceux qui devaient le payer. Il est important de retenir ce fait ; on verra plus loin pour quel motif.


« Il faut, — dit le cahier présenté au Roi par les États généraux tenus à Tours en 1484, — que le povre laboureur paye et soudoyé ceulx qui le battent, qui le deslogent de sa maison, qui le font coucher à terre, qui lui ôtent sa substance… Et quant à la charge importable des tailles et subsides (que le povre peuple de ce royaume a non pas porté, car il y a esté impossible, mais sous lequel fardeau il est mort et a péri de faim et de povreté : la tristesse et la desplaisance innumérable, les larmes de pitié, les grands soupirs et gémissomens de cœur désollé, à peine pourraient suffire, ni permettre l’explication de la griefveté d’icelles charges et l’énormité des maux qui s’en sont ensuys, et les injustices, violences et rançonnemens qui ont esté faits, en levant et ravissant iceux subcides. Et pour toucher à icelles charges, que nous pouvons appeler non pas seulement charges importables, mais charges mortelles et pestiférés, qui eust jamais pensé ni imaginé voir ainsi traiter ce povre peuple jadis nommé françoys ? Maintenant le povons appeler peuple de pire condicion que le serf, car ung serf est nourri, et ce peuple a esté assommé des charges importables, tant gaiges, gabelles, imposicions et tailles excessives… A cause de quoy sont ensuivis plusieurs grands et piteux inconvéniens ; car les aucuns se sont enfuiz et retraicts en Angleterre, Bretaigne et ailleurs ; et autres, par désespoir, ont tué femmes et enfans et eulx-mêmes, voyant qu’ilz n’avaient de quoy vivre. Et plusieurs hommes, femmes et enfans, par faulte de bestes, sont contraintz de labourer la charrue au col, et les autres labouraient de nuyt, par crainte qu’ilz ne fussent de jour pris et appréhendés pour les dictes tailles. Au moyen de quoy, partie des terres sont demourez à labourer, et tout parce qu’ilz estaient soubmis à la voulenté