Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/263

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Depuis longtemps il n’entendait parler que des plus extrêmes misères ; ce surcroît l’inquiéta jusqu’à l’attrister d’une manière si sensible que ses valets intérieurs s’en aperçurent dans les cabinets plusieurs jours de suite, et assez pour en être si en peine que Maréchal, qui m’a conté toute cette curieuse anecdote, se hasarda de lui parler de cette tristesse qu’il remarquait, et qui était telle depuis plusieurs jours qu’il craignait pour sa santé.

« Le roi lui avoua qu’il sentait des peines infinies, et se jeta vaguement sur la situation des affaires. Huit ou dix jours après, et toujours la même mélancolie, le roi reprit son calme accoutumé. Il appela Maréchal, et, seul avec lui, il lui dit que, maintenant qu’il se sentait au large, il voulait bien lui dire ce qui l’avait si vivement peiné, et ce qui avait mis fin à ses peines.

« Alors il lui conta que l’extrême besoin de ses affaires l’avait forcé à de furieux impôts ; que l’état où elles se trouvaient réduites le mettait dans la nécessité de les augmenter très considérablement ; que, outre la compassion, les scrupules de prendre ainsi le bien de tout le monde l’avaient fort tourmenté ; qu’à la fin il s’en était ouvert au Père Tellier, qui lui avait demandé quelques jours à y penser, et qu’il était revenu avec une consultation des plus habiles docteurs de Sorbonne, qui décidait nettement que tous les biens de ses sujets étaient à lui en propre, et que, quand il les prenait, il ne prenait que ce qui lui appartenait ; qu’il avouait que cette décision l’avait fort mis au large, ôté tous ses scrupules et lui avait rendu le calme et la tranquillité qu’il avait perdus. Maréchal fut si étonné, si éperdu d’entendre ce récit, qu’il ne put proférer un seul mot. Heureusement pour lui, le roi le quitta dès qu’il le lui eut fait, et Maréchal resta quelque temps seul en même place, ne sachant presque où il en était. Cette anecdote, qu’il me conta peu de jours après, et dont il était presque encore dans le premier effroi, n’a pas besoin de commentaire ; elle montre, sans qu’on ait besoin de le dire, ce qu’est un roi livré à un pareil confesseur, et qui ne parle qu’à lui, et ce que devient un État libre livré en de telles mains.


« Le roi, mis au large par le Père Tellier et sa consultation de Sorbonne, ne douta plus que tous les biens de tous ses sujets ne fussent siens, et que ce qu’il n’en prenait pas et qu’il leur laissait ne fût pure grâce.