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convaincre et vainement, qu’eux-mêmes propriétaires ne jouissaient pas de la dixième partie de leurs fonds.

« Le Languedoc entier, quoique sous le joug du comité Basville, offrit en corps d’abandonner au roi tous ses biens sans réserve, moyennant assurance d’en pouvoir conserver quitte et franche la dixième partie, et le demanda comme une grâce. La proposition non seulement ne fut pas écoutée, mais réputée à injure et rudement tancée.

« Il ne fut donc que trop manifeste que la plupart payèrent le quint, le quart, le tiers de leurs biens pour cette dîme seule, et que par conséquent ils furent réduits aux dernières extrémités. Les seuls financiers s’en sauvèrent par leurs portefeuilles inconnus, et par la protection de leurs semblables devenus les maîtres de tous les biens des Français et de tous les ordres. Les protecteurs du dixième denier virent clairement toutes ces horreurs sans être capables d’en être touchés. »


Ce que Saint-Simon raconte comme fait accompli les clairvoyans l’avaient prévu, pendant l’enquête qui précéda la Déclaration du 14 octobre 1710. Depuis plusieurs années, en effet, le contrôleur général des finances, dont les embarras allaient croissant, avait songé à cet impôt du dixième sur le revenu général et il avait consulté de tous côtés, dès 1705, sur les moyens de le mettre en pratique. Un des intendans les plus éclairés, M. De Basville, intendant en Languedoc, lui répondit, le 11 octobre 1705, par une lettre remarquable dont voici les principaux passages :


« Après avoir bien examiné la proposition d’abolir la capitation et de faire payer le dixième des revenus aux particuliers, il m’a paru qu’il seroit dangereux de se servir de cet expédient, et qu’on ne pourroit pas s’en promettre aucun succès. Il est dangereux, parce que les peuples sont accoutumés à la capitation et ne le seroient de longtemps à ce dixième, qui sera très difficile à établir. Il faudra des années entières pour vaincre les difficultés ; on a besoin d’un secours prompt et facile, et l’on ne doit pas croire que l’on n’ait pas une extrême répugnance à déclarer son bien et à révéler le secret de sa famille.

« C’est la dernière des extrémités, et si contraire au génie de la nation qu’il ne peut lui arriver rien de plus insupportable. Ainsi, l’on doit s’attendre à des déclarations qui ne seront point