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sincères. Comment obliger un marchand, un homme d’affaires, un usurier, à déclarer ce qu’il a d’argent ? S’il faut faire sur cela une inquisition pour les condamner au quadruple, elle sera d’une longueur infinie, et vouloir présumer que l’on déclarera de bonne foi et sincèrement ce qu’on possède, c’est présumer que les hommes seront justes et raisonnables dans leur propre intérêt, ce que l’on ne doit pas attendre de la plupart. Mais, sans s’étendre trop au long sur les grands inconvéniens qui se trouvent dans cette proposition et qui paroissent d’abord, il ne faut la considérer que par rapport aux biens et aux personnes. Quant aux biens, ou ils sont en fonds, ou en argent. S’ils sont en fonds, les cultures emportent la moitié des fruits, la taille en emporte presque le tiers en pays de taille réelle ; sur le surplus, il faut payer les charges extraordinaires, la capitation, et entretenir sa famille. Une infinité de gens sont dans cette espèce. Comment pourront-ils augmenter encore et payer au-delà de ce qu’ils payent ? Cela est impossible. Il faut bien prendre garde de ne pas raisonner dans cette affaire sur l’idée de Paris, où les biens sont mêlés et où sont établies les personnes les plus riches du royaume. Ceux-là pourroient payer le dixième de leurs revenus sans beaucoup s’incommoder ; mais, dans les provinces où la plupart des habitans vivent de leur domaine, il n’en est pas de même, et la charge est si forte qu’elle ne peut plus recevoir d’augmentation. Dans cette espèce toute la noblesse se trouve qui n’est pas du premier ordre. Quant à ceux dont le bien est en obligations et en billets, qui sont les plus riches du royaume et dont il seroit plus à souhaiter de tirer du secours, je crois pouvoir dire qu’on ne parviendra jamais à avoir des déclarations sincères, et, chacun expliquant à sa mode les charges de son bien, les besoins de sa famille et la nature de ses dettes, il se trompera lui-même pour donner des déclarations qui ne produiront rien.

« J’ai parcouru les différentes conditions, et je trouve que, hors celles des financiers, des marchands et des usuriers, le reste paye déjà, par la capitation, le dixième ou à peu près, et le profit ne vaudrait pas la peine de faire ce grand changement ; et il seroit à craindre qu’en quittant un de ces recouvremens et voulant établir l’autre, on ne les perdît tous les deux. Cela se peut connoître par une estimation sur toutes les facultés des particuliers, que l’on connoît assez dans les provinces.