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ne pouvant échapper ni fuir comme si tout était décidé pour vous et les vacances commencées. Je fais donc un détour pour humer du soleil et accumuler du silence. Je pars vendredi pour Marseille, je m’embarque droit pour Naples, où je reste quinze jours au plus ; je reviens par mer à Rome, où je reste huit jours ; et je reprends la mer pour tendre droit à Lausanne par le plus court, soit par Gênes. Turin et le Mont-Cenis, soit Livourne, Milan et le Simplon. Je compte être à Naples une douzaine de jours après mon départ d’ici ; je n’ai à faire route en voiture que jusqu’à Chalon-sur-Saône : là on prend le bateau à vapeur qui, par la Saône et le Rhône vous mène jusqu’à cet autre bateau de Marseille. Je ne resterai à Naples et à Rome que le temps strict que je vous dis, et, ces deux villes entrevues, l’été régnant, je vous arrive de par les monts en juin : le voyage de Buloz près d’Avignon ne se fera très probablement pas à cause de ces changemens de ministère. Il y a, dans cette nouvelle distribution de mon été, une si grande contrariété à ne vous voir que plus tard, qu’il faut l’utilité bien sentie du soleil, de la solitude et le sentiment surtout qu’il est temps d’en finir avec ce mal opiniâtre, pour que je me décide à un retard qu’il y a quelques jours encore je ne prévoyais pas. Je le prévoyais si peu que traduisant à mon guide un sonnet de Rowles, je m’amusais à me supposer à Lausanne, vous étant ici à ma place, et au lieu du Sombre bois dont parle l’Anglais, je mettais Rovéréa et disais, chère Madame :


Étrange est la musique aux derniers soirs d’automne
Quand vers Rovéréa, solitaire, j’entends
Craquer l’orme noueux et mugir les autans
Dans le feuillage mort qui roule et tourbillonne.

Mais qu’est-ce, si surtout sous la même couronne
De ces bois alors verts, et sur ces mêmes bancs,
On eut, soir et matin, la douceur des printemps
Auprès d’un cœur ami de qui l’absence étonne ?

Reviens donc, ô printemps ! renais, feuillage aimé !
Mois des zéphyrs, accours ! chante, chanson de mai !
Mais triste elle sera, mais presque désolée,

Si ne revient aussi, charme de la saison,
Printemps de ton printemps, rayon de ton rayon,
Celle qui de ces bois bien loin s’en est allée[1] !

  1. Ce sonnet a été publié par Sainte-Beuve au tome II de ses Poésies complètes, p. 305, avec ces variantes : vers 5, si déjà, au lieu de si surtout ; vers à : mais triste tu seras, au lieu de : elle sera.