Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/338

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour légitimer cette distinction et pour reconnaître aux premières plus de droits qu’aux secondes. M. Léon Bourgeois a dit, dans une des séances de la conférence de La Haye, que, « dans les conflits de la force, quand il s’agit de mettre en ligne les soldats de chair et d’acier, il y a des grands et des petits, des faibles et des forts. Quand, dans les deux plateaux de la balance, il s’agit de jeter des épées, l’une peut être plus lourde et l’autre plus légère. Mais, lorsqu’il s’agit d’y jeter des idées et des droits, l’inégalité cesse et les droits du plus petit et du plus faible pèsent dans la balance d’un poids égal aux droits des plus grands. »

Eh bien ! nous croyons fermement que, parmi les idées que les petits États ont pour mission historique « de jeter dans la balance » et de réaliser, celle de la neutralisation occupe une place éminente. Parmi les devoirs que leur imposent leur passé et leur avenir, figure au premier rang celui de propager par tous les moyens le respect du droit et le règne de la justice dans les rapports internationaux. Plus près le monde arrivera de ce but suprême, et mieux leur propre existence sera garantie.

Pour toutes ces raisons, les petits États neutralisés seront à l’avenir les partisans les plus convaincus et les défenseurs les plus enthousiastes des deux grandes idées dont ne sauraient se désintéresser les nations civilisées, du désarmement et de l’arbitrage. Les petits États neutres ne peuvent pas ne pas vouloir que les forces militaires des grandes nations soient enfermées dans des limites définies et que les armemens soient réduits autant que possible. D’un autre côté, par la nature même de la neutralisation, ils sont forcés de reconnaître l’arbitrage international comme le moyen le plus juste et le plus pratique de trancher les conflits entre les nations. La conférence de La Haye devait préparer les voies : la neutralisation des petits États est le premier pas à faire en ce sens.

Cette conférence n’a pourtant pas pu décréter la moindre limitation des forces militaires des États européens, malgré l’éloquence persuasive du message de l’empereur de Russie, initiateur de la conférence de la paix, et malgré les efforts consciencieux de beaucoup des représentans des nations convoquées. Dans le manifeste du 12-24 août 1898, il était dit entre autres choses que « les crises économiques, dues en grande partie au régime des arméniens à outrance et au danger continuel qui gît dans