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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/410

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de théologie protestante, » où l’on formait des pasteurs à l’exercice du ministère. Il s’est flatté, je n’en doute pas, on n’en doit point douter, que la « religion de l’esprit » fût vraiment une religion, et c’est ici que la question devient intéressante, quand on se demande comment il n’a pas débrouillé l’équivoque. Oui, comment n’a-t-il pas vu qu’une religion sans autorité, personnelle et naturelle, n’était pas une « religion, » si même elle n’en est le contraire ? Et, s’il l’a peut-être soupçonné, quels motifs a-t-il eus de fermer les yeux à cette évidence ?

C’est d’abord qu’il n’a jamais pu se séparer entièrement de la religion, ni complètement renoncer atout ce que le mot même de « religion » enveloppait pour lui de « saint » et de « sacré. » C’est ensuite que, tout en essayant de se railler de ceux qui concluent, « des bienfaits de l’Eglise et des effets de la Bible, » à l’institution « miraculeuse » de l’une et à la « révélation » de l’autre, il est lui-même demeuré l’un d’eux. « A tout prendre et en fait, a-t-il écrit dans ses Religions d’autorité, où trouverez-vous une plus haute et plus universelle école de respect et de vertu que l’Église, un moyen de consolation plus efficace que la communion des frères, un abri tutélaire plus sûr pour les âmes encore mineures ? Et quel rôle historique comparable à celui de l’Église dans l’histoire de la civilisation européenne ? D’autre part, que dirons-nous de la Bible qui ne soit au-dessous de la réalité ? C’est le livre par excellence, la lumière des consciences, le pain des âmes, le ferment de toutes les réformes. C’est la lampe suspendue aux voûtes du sanctuaire pour éclairer tous ceux qui cherchent Dieu ! Aux destinées de la Bible sont attachées les destinées de la sainteté sur la terre. » Et c’est encore, et enfin, qu’en s’évertuant à dire le contraire, l’auteur des Religions d’autorité n’a pas pu se défaire ou se défendre de l’idée qu’à l’empire des religions sur la terre étaient suspendues non seulement les destinées de la « sainteté, » mais l’avenir même de la « morale. »

J’ai cité plus haut cette parole : « Si la morale ne souffre pas du caractère subjectif de son principe, pourquoi la religion en souffrirait-elle ? » Ce n’est là que ce qu’on appelle un argument de conversation. Sabatier n’ignorait pas, il ne pouvait pas ignorer, et, en admettant qu’il refusât d’y croire, il ne pouvait s’empêcher de sentir intérieurement, et comme instinctivement, que « la morale souffre du caractère subjectif de son principe. »