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amant ; elle est allée faire ses couches à Grenoble ; et, ne sachant comment nommer cet enfant qu’il lui était impossible d’avouer, elle lui a donné le nom de la rue Chenoise où elle se cachait quand il est venu au monde. « Sa sœur Aurore l’adopta, ajoute le cardinal ; elles le firent élever avec soin sous le nom de M. de Chenoise. Elles prirent à la maison pour précepteur un jeune homme nommé Genoud, natif des Marches, mais domicilié depuis quelque temps à Grenoble avec son père. Ce M. Genoud se fit connaître avantageusement dans la suite sous le nom de M. de Genoude[1]. M. de Chenoise est devenu plus tard lieutenant dans un régiment des gardes de Louis XVIII. »

Tout est ici confondu et dénaturé : les personnages, les faits, les époques. Mais ce qui est plus grave, c’est que depuis 1865, date de la publication des Mémoires du cardinal, ces erreurs n’ont pas été rectifiées et que la Savoie, où s’est conservé le souvenir des dames de Bellegarde, vit, en ce qui les touche, sur cette légende.

Au moment où elles résidaient sous le même toit que Mme de Coigny, celle-ci était en liaison réglée avec Mailla-Garat, ministre de la Justice pendant la période révolutionnaire. Cet ancien conventionnel avait un frère de quelques années plus jeune que lui, l’illustre chanteur Garat, un bellâtre, fat et vaniteux, homme à bonnes fortunes, véritable bourreau des cœurs, qui trouvait bien peu de cruelles quand il se mettait en tête de séduire. Le brillant artiste étant venu à Epinay, — c’était pendant l’automne de 1800, — y vit la comtesse, alors dans tout l’éclat de sa beauté. Il s’éprit d’elle et osa l’avouer. Elle l’écouta sans colère, tomba vite sous le charme, et, non guérie du goût des aventures, quoique la première eût si mal tourné, « elle couronna la n’anime » de ce soupirant habile et roué.

Des nouvelles amours d’Adèle de Bellegarde, de leur caractère, de leur durée, de leur dénouement, nous savons seulement qu’il y eut deux enfans : un fils, Louis-François-Aurore, qui naquit à Epinay-sur-Orge le 16 octobre 1801 et dont on négligea de déclarer la naissance[2] ; et une fille, Pauline, venue au

  1. Né en 1798, ce qui, disons-le en passant, ne lui eût donné qu’une année de plus que relève dont le gratifie à tort le cardinal Billiet, il reçut ses lettres de noblesse en 1822. Il avait été marié. Devenu veuf en 1834, il entra dans les ordres l’année suivante. Il a dirigé longtemps la Gazette de France.
  2. La transcription de son acte de naissance sur les registres de l’état civil d’Épinay-sur-Orge eut lieu seulement le 12 juin 1826, en vertu d’un jugement rendu par le tribunal de la Seine le 2 du même mois, — circonstance qu’a ignorée l’historien de Garat, M. Paul Lafond, qui, d’autre part, fait naître la sœur avant le frère, alors que c’est le contraire qui est vrai.