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mort trois jours avant, à Gratz en Styrie, où il résidait depuis qu’il avait pris sa retraite en 1809. Il succombait à la douleur d’avoir perdu sa fille récemment mariée. De son mariage avec Adèle ne restait plus qu’un fils, marié lui aussi, et une petite fille qui ne devait pas connaître sa grand’mère. J’ai sous les yeux le faire-part de la mort de la comtesse de Bellegarde. Deux noms seulement y figurent au-dessus du sien : celui de la marquise Aurore de Bellegarde-Chenoise, sa sœur, et celui de Léon de Bellegarde-Chenoise, « son neveu, » dit le faire-part, comme si, devant la mort qui répare et efface, le fils de Garat avait craint de rappeler les égaremens de sa mère et la faute à laquelle il devait le jour.

Tante Aurore avait été, en 1826, nommée chanoinesse de « l’illustre chapitre royal de Sainte-Anne de Munich. » Elle devait survivre longtemps à tous ces morts et voir ses dernières années encore assombries par la plus cruelle épreuve qui pût l’atteindre. En 1837, elle eut la douleur de fermer les yeux au fils adoptif à qui depuis si longtemps elle se consacrait et dont elle eût pu dire que, depuis qu’elle pleurait sa sœur, il était sa seule raison de vivre. Elle ne fut plus, dès ce moment, qu’une âme en peine, portant péniblement le fardeau des jours et appelant la mort. L’abbé de Genoude, qui était à cette époque son voisin de campagne et allait la voir souvent, a écrit d’elle[1] « que sa vieillesse conserve je ne sais quel effet d’exaltation et de mélancolie qui fait deviner qu’une grande douleur habite au fond de cette âme autrefois initiée à tout ce que les arts ont de plus poétique. »

La mort faucha, le 7 mars 1840, cette pauvre fleur fanée. Tante Aurore alla rejoindre ceux qu’elle avait aimés de toute l’ardeur d’une âme faite pour l’amour et qui ne l’a pas connu ; aimés jusqu’à devenir inconsolable de ne pouvoir plus se dévouer pour eux.

Il manquerait quelque chose à ce récit, si nous ne disions ce qu’il est advenu des divers théâtres où se déroulèrent les événemens qu’il raconte. Le château des Marches dresse toujours en face des Alpes sa façade séculaire. Mais il a passé en d’autres mains, les héritiers de la comtesse de Bellegarde ayant vendu après sa mort ce berceau de leur famille qui ne pouvait que raviver de douloureux souvenirs. Sont aussi debout le château

  1. De Genoude, Histoire d’une âme.