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rapides mouvemens nous donner quelques détails plus précis sur cette secrète mission.

Mais, non ; le message s’achève et se termine par ce simple renseignement complémentaire :

« Six jours de mer. Transmettez. »

Il est quatre heures. Je prends le quart et je fais passer au Chanzy, derrière nous, l’information complète :

« Mission secrète en Orient, — six jours de mer. — Transmettez. »

C’est alors que le commandant s’écrie en riant :

— Ça c’est bien joué ! Du diable si je m’en doutais !

Puis il ajoute :

— Je suis trempé jusqu’aux os par la pluie et par les embruns. Je vais changer de vêtemens, prendre des bottes et un manteau imperméable. J’aurai vite fait. Suivez bien le Pothuau, exactement dans son sillage, plutôt à 300 mètres qu’à 400. La nuit sera noire et pénible ; la mer, méchante et dure. Veillez bien. Je reviens.

Elle tombe déjà, la nuit. Elle tombe, avec la pluie, de ces lourds nuages noirs qui donnent des couleurs indécises à tout ce qui nous entoure, et qui s’abaissent sous les rafales du vent comme si toute la voûte des cieux allait s’écraser sur les eaux.

À quatre heures et demie, une lueur enténébrée, froide et violette, jette un trou à l’horizon et s’éteint brusquement. Après, ce sont les ténèbres profondes, du noir partout.

Pourtant, pour dissimuler notre présence aux navires que nous pourrions rencontrer, nous n’allumons pas nos feux de route : seul, un fanal discret sur la poupe de chacun de nos bâtimens sert à maintenir notre escadre en ligne…

À cinq heures et demie, notre route, qui était jusque-là dirigée vers le cap Corse, est subitement changée : c’est vers les Bouches de Bonifacio que nous nous engouffrons en augmentant progressivement notre allure jusqu’à quatorze nœuds. L’amiral espère évidemment trouver la mer moins dure le long des côtes corses et il se hâte pour franchir le détroit en pleine nuit afin qu’aucun sémaphore italien ou même français ne puisse signaler notre passage.

Dans cette nouvelle direction, tout d’abord, et avec notre grande vitesse, les lames se heurtent plus violentes contre notre flanc. Au tangage s’ajoute le roulis, et l’ensemble de ces deux forces tord le Faidherbe en mouvemens désordonnés.

Tout crépite, tout crie, tout gémit à bord : cordages, bois et