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Il pleut, il vente, il fait froid.

Tous ces jours-ci, on a exercé les marins qui font partie du corps de débarquement.

Le 1er novembre, en effet, l’amiral a signalé :

« Préparez la mise à terre du corps de débarquement. Les cuirassés fourniront quatre sections ; les croiseurs, deux. Vérifiez bien sacs et bidons. Ne désigner que des hommes sûrs. Être prêts pour mardi. »

Mardi c’est après-demain. où serons-nous après-demain ?


Lundi matin, 4 novembre 1901. — En croisière devant l’île de Milo.

La grande île de Milo est toujours sous nos yeux avec son groupe d’îlots désolés comme elle : Anti-Milo, Paximado, Kimolo, Pyrgui, roches stériles surgies des eaux dans les convulsions volcaniques des premiers âges de la terre.

Les vallées de cette île montagneuse, encore imprégnées de soufre, sont, dit-on, d’une extrême fertilité et produisent en abondance du blé, du coton, de l’huile, du vin et des oranges. Mais, de la distance où nous la voyons, nous n’apercevons que sommets rocheux, gris et ternes sous la pluie qui ne cesse de tomber. Et le Faidherbe, suivi du Chanzy et des autres cuirassés, suit à son tour le Pothuau qui inlassablement nous entraîne alternativement à l’Est et à l’Ouest dans une marche lente, monotone. Péniblement les heures se traînent dans l’attente. Et, pour les faire paraître plus brèves, les discussions continuent à bord sur les « choses d’Orient. »

Nous savons où nous débarquerons, bien que personne ne nous l’ait dit ; mais nous avons tellement envisagé la question sous toutes ses faces que nous sommes certains de ne pas nous tromper.

Certains journaux en France avaient autrefois indiqué, comme un moyen excellent, la saisie des douanes de Smyrne ou de Beyrouth. Certes, ce seraient là des gages précieux à tenir. Mais pour les saisir, nous nous lancerions bien aveuglément, sans préparation aucune, dans une aventure des plus hasardeuses et des plus fertiles en graves conséquences. Les garnisons turques sont fortement constituées sur le continent ottoman ; par voie ferrée, elles peuvent être rapidement renforcées : un débarquement ne serait possible, dans les conditions où nous sommes, qu’avec l’accord tacite du Sultan lui-même.