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Vendredi 8 novembre 1901. — Port-Sigri (île de Lesbos).

Ce matin, à six heures, sur la rade, nous avons laissé à Mytilène l’escadre plongée dans la froide nuit de l’hiver,

A sept heures, sur la mer unie comme un miroir, derrière nous l’aurore s’est levée, rosissant les côtes d’Anatolie et jetant des reflets d’or sur les hautes cimes de Lesbos.

Nous avons longé de très près les rives méridionales de l’île, où s’étalent quelques misérables villages, bâtis par les Turcs, mais où s’ouvrent, harmonieux, au milieu d’abruptes falaises, deux vastes bassins que la nature a bien voulu creuser : c’est Port-Hiéro, d’abord, ou Port-des-Oliviers, qu’un grand bois d’oliviers entoure ; puis le port de Kalloni, anciennement appelé Port-Longone. A l’Ouest, contreforts escarpés du mont Ordymnos, sur lequel un monastère grec jette une tache blanche au milieu de la brume violette ; les terres s’abaissent un peu et se terminent brusquement en falaises verticales où la mer creuse des cavernes. L’une de ces falaises est le cap Sigri, extrémité occidentale de Lesbos.

Dès qu’on l’a doublé, à droite, apparaît une baie qui s’ouvre entre la grande île et des îlots rocheux, digues naturelles allongées au large. Le plus grand de ces îlots, l’île Sigri, protège admirablement la rade, sur une longueur de trois kilomètres, contre les flots de la haute mer. En face le point central de l’île Sigri, et à 1 209 mètres de lui, s’élève, sur la terre de Lesbos, une haute et vieille citadelle vénitienne, imposante encore.

Au pied de cette citadelle, et abritée derrière elle, se groupe, en rues montantes et tortueuses, l’humble ville de Sigri, entourée de roches nues sur une terre rouge où ne croît aucune verdure.

Tandis que nous approchons, enseigne déployée, canons chargés prêts à répondre à toute injure, nous ne voyons que la citadelle avec ses embrasures, et ses pièces d’artillerie d’ancien modèle, derrière lesquelles s’alignent, immobiles, une trentaine d’artilleurs ottomans.

Le Faidherbe stoppe, et, avec sa vitesse acquise, dépasse bientôt la direction dans laquelle battraient les pièces. Le commandant le dirige alors sur le milieu de la ligne qui joindrait le centre de l’îlot Sigri à la citadelle, et, dès qu’il y est parvenu, il fait jeter l’ancre. Il est midi. Le soleil brille sur un ciel très pur,