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à bord, énergiquement salués par l’excellent Toussoum-bey.


Dimanche 10 novembre 1901. — Port-Sigri (île Lesbos).

Combien de jours resterons-nous devant cette sombre terre d’exil que n’illuminera pour nous aucun rayon de gloire ou même de joie ; sur cette étroite rade où le Faidherbe semble écrasé entre des roches inertes, nues comme des murailles de prison ; où aucun paquebot ne nous relie à la patrie absente ; près de ce village turc où nulle âme, nul regard n’est pénétrable à notre âme, à notre regard ?

Si l’ennui, plutôt que la tristesse, nous envahit à l’aspect du devoir qui nous retient ici, devoir aride où ne germera aucune fleur, nous ne nous laissons pas abattre par lui. Sur un navire de guerre, d’ailleurs, on n’est jamais complètement séparé de la patrie, puisque le navire lui-même en est un morceau. À bord, nous parlons tous la même langue, des lèvres et du cœur ; nous avons les mêmes fiertés, les mêmes espoirs ; nous y avons nos occupations, nos devoirs, et ce devoir, si humble soit-il en ce moment, est utile au rayonnement de notre chère France.

Nous réagissons aussi. Hier, plusieurs de mes camarades, entre autres l’ardent Noguay, sont descendus à terre pour explorer le pays et juger des distractions qu’il pourrait offrir. Ils sont revenus à bord un peu désenchantés, mais non découragés. Ils parlent d’installer un tennis dans les fossés de la citadelle ; le Kaïmakan, — qui n’a plus la fièvre, — leur a promis de leur procurer des chevaux, et aussi des fusils de chasse, et enfin des guides qui les conduiraient aux endroits les plus giboyeux. Ils ont encore découvert une jolie plage de sable où les marins pourront aller se livrer aux plaisirs de la pêche. Mais ils parlent surtout de se rendre à Eryssos, la ville grecque de la montagne, où nous sommes sûrs, paraît-il, de trouver un excellent accueil de la part de la population entièrement chrétienne. Avec nos exercices, nos études, nos causeries à bord, nos excursions à terre, et quelques lettres de nos familles, — car nous finirons bien par en recevoir, — le temps passera quand même.

Et puis, il ne me semble pas possible que nous demeurions bien longtemps ici. L’incident qui nous a amenés à Mytilène est de ceux qui doivent être promptement clos. Il était déjà juste que le Sultan cédât devant nos légitimes réclamations. Maintenant,