Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/530

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

îles n’ayant pas été altérée par des croisemens aussi fréquens que sur le continent.

Sur chaque navire, nous rendons de notre mieux les politesses qui nous sont faites, en invitant à déjeuner et parfois, le dimanche, en organisant de petites et intimes sauteries.

Hier, l’amiral a donné un grand bal à bord du Pothuau, de quatre heures à neuf heures du soir. Beaucoup de jolies femmes, de délicieuses jeunes filles aux grands yeux troublans ; de ravissantes toilettes ; buffet copieux ; entrain très vif. Le navire était superbement décoré.

On a beaucoup remarqué que l’enseigne de vaisseau Noguay avait à peu près exclusivement dansé avec Mlle Julie Rocakokinos (diable de nom pour dire simplement de la Roche Rouge ! ), qu’il a souvent rencontrée dans les salons de Syra, où il est très répandu. De sa petite cousine de Bretagne il ne parle plus, et, ce matin, se méfiant de Perron dont il redoute l’ironie, il est venu en secret dans ma chambre pour me montrer ces vers sur lesquels il voulait avoir mon avis :


Est-il vrai, comme on nous l’assure,
Qu’en Espagne, les dames ont
Un court poignard... à leur ceinture,
Vengeur de toute trahison ?

Peut-être. En tout cas, je devine,
En voyant votre doux regard,
Qu’en Grèce aussi l’on assassine...
Mais c’est dans l’œil qu’est le poignard !


Sans lui demander à qui ces vers étaient destinés,-je lui ai fait prosaïquement observer que, d’après la légende, les Espagnoles ne portaient pas « leur poignard à leur ceinture. »

Il m’a répondu qu’il le savait, mais que « ceinture » était plus décent que « jarretière, » et se prêtait mieux à la rime.

Alors, me gardant bien de toute autre critique, j’ai admiré, et Noguay fut bien heureux.

Mais, sans aucune transition, et très vite, il ajouta :

— Dites donc, vous seriez bien, bien aimable, si vous vouliez vous charger de montrer cette poésie à Mlle Rocakokinos ?

Je me récriai :

— Moi ? Vous n’y pensez pas, mon ami ! Ce sont là des commissions que l’on fait soi-même.