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compte de la place que doit tenir notre empire colonial dans l’économie générale de notre vie nationale : comme il y a une politique algérienne, il doit y avoir aussi, en quelque mesure, une politique indo-chinoise, dont précisément relève, avant tout, la question siamoise : c’est en Indo-Chine qu’il faut se placer pour en comprendre la portée et les conséquences.

Si l’Indo-Chine sera un marché dont profiteront nos industriels et nos commerçans, si elle sera une terre où nos nationaux pourront coloniser et trafiquer en toute sécurité pour le présent et pour l’avenir, si elle sera le point de départ, la « base d’opérations » de la pénétration commerciale française dans l’Empire du Milieu, c’est, dans le débat actuel, la véritable question. Dans nos rapports avec le Siam, c’est toute notre méthode d’expansion asiatique qui est en discussion, c’est tout notre avenir en Extrême-Orient qui est en suspens.


I

Luttes de races, luttes de religions, luttes de civilisations, c’est l’histoire de l’Indo-Chine. Ses fleuves, très voisins par leurs cours supérieurs, et qui divergent ensuite en éventail pour aboutir à des mers différentes, les hauts massifs de montagnes qui interposent leur masse impénétrable entre les vallées prochaines, tout y favorisait la vie particulariste et l’émiettement des nationalités ; aussi n’a-t-elle connu que des empires éphémères et n’a-t-elle jamais été entièrement réunie sous une même domination. Tantôt ses maîtres sont venus de l’Ouest, apportant avec eux les croyances et les arts de l’Inde ; tantôt, descendant le cours des fleuves, ils sont arrivés du Nord, rameaux humains détachés de l’énorme tronc chinois ; ou bien encore, partis des îles de la Sonde, ils ont franchi l’étroit bras de mer où des conventions géographiques sans fondement naturel prétendent limiter l’Asie. Ces divers bans d’immigrans ou de conquérans se sont combattus, se sont superposés, se sont fondus ; ils ont formé entre eux des mélanges où, selon la proportion des divers élémens ethniques, dominent les traits du Chinois ou de l’Annamite, du Malais ou du Cambodgien, du Birman ou de l’Indou.

Dans la montueuse Indo-Chine, la terre promise, celle qui attire et retient les peuples en migration, le champ clos où toutes les luttes de race sont venues se dénouer, c’est le bassin