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des ambitions, que l’on osait à peine exprimer, se transforment en droits précis et nous sommes mal venus, dans la suite, à contester une situation que nous avons nous-mêmes contribué à créer. A l’origine des difficultés que nous rencontrons, à l’heure actuelle, à Figuig et au Siam, il y a des erreurs de ce genre. Le traité de 1867 a fait siamois les pays cambodgiens de Battambang et d’Angkor comme le traité de 184S a créé la fiction de Figuig marocain,

Bangkok est le centre naturel de l’activité économique du bassin du Ménam, le foyer d’où la puissance siamoise rayonne. Avec ses 400 000 habitans, ses pagodes dorées et ses phnoms gigantesques, avec ses canaux plus animés que ceux de Venise et ses larges avenues modernes, avec le grouillement de sa population bigarrée, Bangkok apparaît vraiment comme la grande ville de l’Indo-Chine. Mais Bangkok elle-même, fondée par la dynastie siamoise, enrichie par les Siamois des dépouilles des royaumes voisins, est à peine une ville siamoise ; elle est surtout cosmopolite ; toutes les races de l’Extrême-Orient s’y pressent dans une inexprimable cohue ; elle fait penser à quelqu’une de ces métropoles du monde antique où la conquête transportait les hommes et accumulait les richesses des tribus vaincues et où le commerce attirait les peuples voisins. Des Européens nombreux, négocians, diplomates, aventuriers de tout pays et de tout poil, à l’affût des grasses sinécures, des concessions de mines ou de chemins de fer, achèvent d’en faire « l’une des villes les plus bizarres, les plus hétéroclites, les plus disparates de l’Extrême-Orient, une ville « rastaquouère « parce qu’elle se croit distinguée et élégante en dissimulant sa couleur locale sous le premier haillon de notre civilisation européenne[1]. »

La vie d’activité féconde, le mouvement des boutiques, des banques et de la navigation n’appartient pas aux Siamois, mais aux Chinois. Ici, comme à Singapour, ils sont les maîtres du commerce, les intermédiaires indispensables des transactions. Venus seuls, sans femmes, ils s’allient volontiers aux filles indigènes : ainsi, peu à peu, le Siam se chinoise, et la race primitive va se fondant dans un mélange cosmopolite où l’élément chinois domine. Merveilleusement adaptés à la vie commerciale,

  1. Henri d’Orléans, Autour du Tonkin, p. 526. — Voyez une description colorée et vivante de Bangkok dans le livre de Mme Massieu : Comment j’ai parcouru l’Iindo-Chine (Plon, 1901).