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notre civilisation, les monarques asiatiques excellent, avec une finesse sur laquelle nous nous méprenons parfois, à s’assurer par eux-mêmes des forces et des dispositions des adversaires qu’ils craignent ou des amis dont ils ne se défient guère moins ; ils promettent volontiers, mais, rentrés chez eux, ils n’ont garde de se souvenir d’une parole si facilement donnée et ils recommencent l’éternel jeu de bascule, qui est, depuis si longtemps, la meilleure sauvegarde de l’indépendance de leurs États. Une fois pourtant, on put se croire à la veille d’une solution, lorsque M. Doumer se rendit lui-même à Bangkok. Une négociation pressante, menée sur place, avec l’autorité qui appartenait au gouverneur général de l’Indo-Chine, obtint en apparence, de nos rusés voisins, les concessions nécessaires ; mais M. Doumer quitta Bangkok avant que rien fût signé, il revint en France et, quand on avait cru tout fini, on s’aperçut que tout était à reprendre. Cet épisode n’en est pas moins significatif : il nous indique la méthode à suivre quand on voudra obtenir rapidement une solution satisfaisante ; il faudra imiter ce que font les Anglais aux Indes et les Russes en Mandchourie et confier la direction des négociations au gouverneur général de notre empire indo-chinois, mieux placé que personne pour apprécier les intérêts en jeu et qui dispose des forces et des ressources nécessaires pour appuyer sans délai son action diplomatique.

Nous n’avons point dessein d’analyser ici la longue série des négociations dont le traité non ratifié du 7 octobre 1902 n’est en somme qu’un incident, ni de rechercher les causes et les influences qui provoquèrent la détermination du ministre responsable. De toutes ces polémiques, nous ne retiendrons que quelques traits qui nous paraissent de nature à éclairer la situation actuelle et à empêcher certaines illusions de survivre aux réalités qui sont venues les démentir.

Il est facile de se rendre compte des motifs d’ordre général qui guidèrent le ministre. La situation de nos nationaux au Siam était déplorable, notre influence à peu près nulle, les difficultés incessantes ; nous avions donc un intérêt évident à mettre fin à un état de choses qui ne pouvait guère être plus mauvais. « En signant l’accord du 7 octobre, est-il dit dans l’exposé des motifs qui précède le traité tel qu’il devait être présenté aux Chambres, le gouvernement a été guidé par une double préoccupation : renouer avec le Siam des rapports amicaux à la faveur