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Bangkok. Plusieurs emplois se trouvaient vacans parmi ceux qu’occupent de hauts fonctionnaires étrangers : le roi se hâta d’en nommer les titulaires, mais il se garda de choisir des Français. A la même époque se succédaient des attaques à main armée sur les bords du Mékong, des incursions de soldats réguliers siamois dans la zone française, des attentats contre le personnel du consulat de France à Battambang. Les rapports du chargé d’affaires de France se succédaient au quai d’Orsay, en même temps que les plaintes des Français établis au Siam et en Indo-Chine et les dépêches alarmantes du gouvernement général.

A regarder la carte annexée au traité, ce recul manifeste de l’influence française paraissait compensé par un progrès vers l’ouest de la ligne coloriée qui marque la frontière de notre Indo-Chine et par l’annexion de quelques cantons : argumens spécieux qui suffisent à faire illusion au public, toujours ignorant des choses lointaines et porté à comparer ces « rectifications de frontière » en Extrême-Orient, à celles qui viendraient à se produire sur la frontière des Vosges ou celle du Nord. Les parcelles annexées, Melon-Prey et Bassac, étaient, de l’avis unanime des voyageurs qui les ont visitées[1], de médiocre valeur, peu peuplées, sans avenir ; mais eussent-elles été fertiles, riches et peuplées, que l’erreur n’en eût guère été atténuée. Qu’importe, à l’avenir d’un empire comme celui de l’Indo-Chine française, qu’il s’accroisse de quelques centaines d’hectares et de quelques milliers d’habitans ? Mais, dans un pareil pays, ce qui est capital ce sont les débouchés commerciaux, les voies navigables et quelques points essentiels qui commandent, soit militairement, soit économiquement, toute une région. Peu nous importe de posséder, sur le Tonlé-Sap, quelques kilomètres de côtes de plus, mais il nous importerait grandement d’y faire tout le commerce et que nos protégés cambodgiens en fussent les seuls riverains et eussent seuls le droit d’y pêcher. De même, la vraie question n’est pas de savoir si nous posséderons ou non une zone de 25 kilomètres au delà du Mékong, mais bien si le Mékong sera ou non un fleuve français. Et de même encore, ce qui est vital pour notre avenir en Indo-Chine, ce n’est pas de savoir si nous serons les uniques suzerains du royaume tout entier de Luang-Prabang, et si les anciennes provinces cambodgiennes de

  1. Voir notamment les livres de MM. Pavie (la Mission Pavie), Aymonier (le Cambodge), L, de Reinach (le Laos), Picanon (le Laos français).