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Les Anglais, dans la péninsule de Malacca, n’envahissent que des dépendances très extérieures du royaume de Siam, des sultanats peuplés de Malais qui n’ont ni la même religion ni les mêmes mœurs. Le bassin du Mékong, au contraire, est le pays où se dirige naturellement l’expansion siamoise, celui que les mandarins peuvent le plus aisément mettre en coupe réglée. La force des choses fait donc de nous les rivaux des Siamois : il faut savoir nous y résigner et en accepter les conséquences, Nous ne saurions avoir, pour le moment, à Bangkok, l’influence que les Anglais y ont acquise ; contentons-nous d’y être respectés et d’établir notre suprématie exclusive dans la « sphère d’influence » que la nature et les traités nous ont dévolue. Et quant à l’amitié des Siamois, quand nous ne la chercherons plus, c’est alors peut-être qu’elle nous viendra par surcroît.

Au point de vue international, il est nécessaire de séparer soigneusement la « question du Mékong, » qui n’existe, depuis 1896, qu’entre les Siamois et nous, et, d’autre part, le problème de l’avenir du Siam lui-même, plus compliqué qu’il ne le paraît au premier abord. Il n’y a plus seulement, aujourd’hui, rivalité d’influence, à Bangkok, entre l’Angleterre et la France, mais, sans parler des Danois, qui ont su se créer de grands intérêts dans le pays et une part d’influence dans le gouvernement, les Allemands, en ces dernières années, ont singulièrement développé leur commerce avec le Siam ; ils se sont ingéniés à obtenir des concessions, des commandes, si bien qu’aujourd’hui, pour la construction des chemins de fer, pour le service des postes, ils ont presque évincé la concurrence anglaise. Enfin, en Asie même, des rivaux d’autant plus redoutables qu’ils sont eux-mêmes des « jaunes, » et que leur civilisation se rapproche de celle des Siamois, ont surgi en ces dernières années : les Chinois, maîtres du trafic de Singapour, accaparent de plus en plus, à Bangkok, toutes les branches de l’activité économique, tandis que les Japonais cherchent à se faire, au Siam comme en Chine, les éducateurs de la race jaune, pour pouvoir un jour l’émanciper de la tutelle humiliante des « Barbares » d’Occident. Concurrence allemande, influence japonaise sont, en réalité, plus redoutables à l’hégémonie britannique que les visées conquérantes que la presse jingoë se plaît à nous attribuer. Peut-être le moment où deux visites solennelles ont rendu visible le « rapprochement » entre la France et ses voisins d’outre-Manche, qui sont aussi ses