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l’aurait étranglée[1]. » Mademoiselle pleurait ; la Cour regardait. « J’ai tout oublié, » dit enfin la reine, et sa nièce s’empressa de le croire.

L’accueil du roi fut plus significatif encore. Il arrivait à cheval, tout mouillé et tout crotté, de la ville de Montmédy, prise le jour même aux Espagnols (7 août 1657). Sa mère lui dit : « Voici une demoiselle que je vous présente, et qui est bien fâchée d’avoir été méchante ; elle sera bien sage à l’avenir. » Le jeune roi se contenta de rire, et répondit en parlant du siège de Montmédy. Mademoiselle repartit néanmoins de Sedan avec des pensées très riantes : elle s’était figuré lire dans tous les yeux qu’on allait la marier au frère du roi, le petit Monsieur. Il avait dix-sept ans ; elle en avait trente et beaucoup de cheveux blancs.

Encore quelques mois d’une demi-retraite, et la Grande Mademoiselle, tolérée sinon pardonnée, ne devait plus bouger de la Cour pendant les années de transition où se prépara le gouvernement personnel de Louis XIV. Un nouveau régime allait naître, et un nouveau monde avec lui. On les voyait de jour en jour se dessiner, reléguant dans l’ombre du passé le vieil esprit d’indépendance et étouffant les aspirations confuses du pays vers quelques libertés légales. Mazarin incarnait ce grand mouvement politique. A la veille de disparaître, ce ministre impopulaire était devenu tout en France.


I

Il était le maître ; personne ne songeait plus à lui résister ; mais on continuait de l’exécrer et l’on n’arrivait pas à l’admirer. La France n’ayant alors ni journaux, ni débats parlementaires, la politique étrangère de Mazarin, qui lui fait tant d’honneur à nos yeux, restait fort mal connue, même à Paris. Ainsi s’explique que sa gloire ait été en grande partie posthume. Elle a grandi à mesure que l’on a pu le juger sur pièces, d’après les documens enfermés dans nos archives nationales ou dans celles des autres pays. Ses correspondances ont mis au jour un si beau génie diplomatique, que les historiens, avec beaucoup de raison, ont laissé au second plan les vilains côtés de l’homme, ses petitesses, pour appuyer sur les services du ministre.

  1. Mémoires de M Mlle Montpensier, — Mémoires de Montglat.