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Quelques semaines après les incendies de la Bourgogne, deux armées torturèrent la Brie. L’une était au roi, l’autre au duc de Lorraine, et il n’y eut qu’une nuance de cruauté en moins chez nos troupes. Quand ils furent tous passés, les campagnes étaient semées de charniers, et il y a charnier et charnier. Celui de Rampillon[1], particulièrement atroce, doit être mis au compte des Lorrains : « A chaque pas on rencontrait des gens mutilés, des membres épars ; des femmes coupées par quartiers après avoir été violées ; des hommes expirans sous les ruines des maisons incendiées, d’autres... percés avec des broches ou des pieux aigus[2]. » Personne ne s’inquiétait ensuite de supprimer ces foyers d’infection.

On serait en peine de dire si cette façon de faire la guerre était plus féroce ou plus stupide. Quelques chefs de corps, précurseurs de l’idée d’humanité, protestaient timidement, au nom de l’intérêt bien entendu, contre un système qui donnait aux armées pour compagnes inséparables la peste, la famine et la haine universelle. On possède une lettre signée de quatre d’entre eux, Fabert en tête, et adressée à Mazarin, pour le supplier d’arrêter les ravages d’un étranger au service de France, M. de Rosen. Mazarin n’eut garde d’en tenir compte : il aurait fallu commencer par payer Rosen et ses soldats.

Quant à sauver les survivans, laissés sans pain, bestiaux ni semences, sans toit et sans instrumens de travail, si l’on cherche à qui en incombait le devoir dans l’opinion des contemporains, on ne trouve nulle part que l’Etat se crût tenu de réparer les désastres publics, pas plus que de protéger les classes pauvres. L’idée du devoir social n’était pas née, ni près de naître. L’assistance publique était dans l’enfance et ce qui en tenait lieu avait été désorganisé, comme tout le reste, par le désordre général ; chaque ville secourait ou non ses mendians, selon ses ressources et les circonstances. En revanche, l’idée du devoir chrétien de la charité avait repris une grande force dans quelques milieux, sous l’influence combinée du jansénisme, qui exigeait des siens une foi agissante, d’une société secrète catholique dont l’existence est l’une des découvertes historiques les plus curieuses de ces dernières années[3] ; et d’un pauvre saint dont l’air paysan

  1. Village de l’arrondissement de Provins.
  2. Feillet, La Misère au temps de la Fronde.
  3. le volume de M. Raoul Allier : La Cabale des dévots, et les articles de M. Alfred Rébeliiau, publiés ici même.