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l’étiquette obligeait à distinguer en sa personne le frère du roi d’avec l’héritier présomptif de la couronne, « car, alléguait Louis XIV, le présomptif héritier d’Espagne ne viendrait point en France voir une cérémonie[1]. » Tout examiné, l’héritier reçut défense de passer la frontière. Survint Mademoiselle, qui devait être de la partie. Elle représenta que l’interdiction ne lui était pas applicable, et s’appuya sur la loi salique pour avoir le droit de traverser la Bidassoa : « Je n’hérite point, disait-elle ; Je ne dois pas être malheureuse en tout. Puisque les filles ne sont bonnes à rien en France, au moins que l’on les laisse voir ce qu’elles ont envie. » Mazarin convoqua les ministres pour leur soumettre cet argument. La discussion dura « trois ou quatre heures. » Finalement, Mademoiselle eut gain de cause, bien que le roi fût plutôt contre elle.

Les questions de « queues » donnèrent aussi de la tablature au cardinal. Un duc s’était offert à porter la queue de Mademoiselle dans le cortège nuptial : Mazarin dut se mettre en quête de deux autres ducs pour les plus jeunes sœurs de Mademoiselle, deux enfans, que la dame d’atour de leur mère avait amenées au mariage. Il ne put trouver qu’un marquis et un comte ; les ducs se dérobaient. La dame d’atour jeta les hauts cris : ses princesses auraient des porte-queue aussi haut titrés que leur grande sœur, ou elles n’iraient point. « Je ferai ce que je pourrai, répondait le cardinal ; mais personne ne le veut. » Mademoiselle eut la bonne grâce de sacrifier son duc, et Mazarin croyait en être quitte, quand la princesse Palatine[2] suscita un nouvel incident, le jour même de la cérémonie et presque au dernier moment. Elle apparut dans la chambre de la reine avec une queue. Elle n’en avait pas le droit, étant princesse étrangère. Elle comptait sur l’agitation générale pour passer en contrebande et créer un précédent. Il fallut en rabattre. Sa queue avait été dénoncée à Mademoiselle, et il n’y eut pas de mariage qui tînt ; force fut au cardinal, et au roi après lui, d’écouter un vrai discours sur les empiétemens des princes étrangers : « Je crois, écrivait Mademoiselle, que je fus fort éloquente. » Elle fut, en tout cas, très convaincante, car la Palatine reçut l’ordre d’ôter sa queue. Mais il nous faut retourner en arrière ; les queues nous ont entraînés trop loin.

  1. Mémoires de Mademoiselle.
  2. Anne de Gonzague.