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espagnole à Philippe IV, et ils s’assirent « environ sur la ligne qui séparait les deux royaumes[1]. » Il restait à asseoir Marie-Thérèse, infante d’Espagne mariée par procuration au roi de France. Serait-ce en France ou en Espagne ? Sur un siège espagnol ou français ? On apporta un coussin espagnol et deux coussins français, on les empila en territoire espagnol, et la jeune reine se trouva assise d’une façon mixte, convenable à sa situation ambiguë. Louis XIV n’avait pas accompagné sa mère ; l’étiquette ne permettait pas encore au nouveau couple de s’adresser la parole. Il avait été convenu que le roi de France se promènerait à cheval sur les bords de la Bidassoa, et que l’infante le regarderait de loin par une fenêtre. Une impatience romantique qui prit à l’époux de connaître son épousée fit manquer cette partie du programme. Louis XIV vint regarder sa femme par une porte entr’ouverte. Ils se considérèrent quelques instans et s’en retournèrent chacun chez soi, elle à Fontarabie, lui à Saint-Jean-de-Luz.

Le dimanche 6, ils se virent officiellement dans l’île des Faisans. Ils n’en furent guère plus avancés ; Philippe IV avait déclaré que l’infante devait cacher ses impressions jusqu’à ce qu’elle fût en terre française.

Le 7, Anne d’Autriche emmena sa bru à Saint-Jean-de-Luz, où les jeunes gens purent enfin se parler en attendant la célébration définitive du mariage, qui eut lieu le 9 juin dans l’église de Saint-Jean-de-Luz. Quelques jours plus tard, la Cour reprenait le chemin de Paris. Marie-Thérèse fit son entrée solennelle dans la capitale le 26 août. Le cortège partait de Vincennes. « Il me fallut lever à quatre heures du matin, » rapporte Mademoiselle, qui avait « une migraine horrible » et grand mal au cœur. A cinq heures, tout le monde était en costume d’apparat, et l’on n’arriva au Louvre qu’à sept heures du soir. Mademoiselle n’en pouvait plus ; mais une princesse du sang n’avait pas le droit d’être malade le jour de l’entrée de la reine.

Tantôt ridicule et tantôt féroce : telle apparaît l’ancienne étiquette à nos générations démocratiques. Les monarques d’autrefois sentaient trop vivement les services qu’elle leur rendait pour lui marchander la soumission. Ils savaient qu’un demi-dieu ne descend jamais impunément de son piédestal ; on ne peut pas

  1. Motteville.