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de l’Essai sur l’inégalité des races. Sans doute, il jette à l’occasion quelques fleurs sur la mémoire de ce précurseur « éminent par l’esprit » et sur son œuvre « géniale ; » mais, le plus souvent il le traite avec un dédain fort marqué ; et, dans la préface de sa troisième édition, il a énergiquement protesté contre toute filiation de ce côté. « J’estime, dit-il, le spirituel Français, et je me réjouis à contempler la physionomie originale d’un homme qui sut allier l’érudition juridique aux rêveries débridées d’un prédicateur apocalyptique de la fin du monde prochaine ; mais la patience m’échappe devant l’engouement de dernières années pour Gobineau. » En fait, outre ce pessimisme d’avenir, qui (nous l’avons dit ailleurs) demeure assez superficiel dans l’œuvre de notre compatriote et se retourne le plus facilement du monde vers l’optimisme impérialiste, M. Chamberlain lui reproche son ignorance des sciences naturelles, son mépris de la préhistoire, et, tout en s’inclinant devant une personnalité passionnée, mal équilibrée mais profondément noble et attachante, il ne lui accorde qu’un seul mérite positif, celui d’avoir fourni à l’impérialisme aryen des documens juridiques et des « intuitions spirituelles, » qu’il a d’ailleurs recueillies sans scrupules et développées pour sa part. Non qu’il ait été amené à ces emprunts par l’étude directe de Wagner, car le musicien-philosophe mourut trop tôt pour être sérieusement influencé par les idées de son tardif ami français. Mais plutôt il a respiré le gobinisme dans l’atmosphère des Bayreuther Blaetter, dans laquelle il a longtemps vécu, et qui fut imprégnée de cette subtile essence après 1882. C’est à la même source que Nietzsche puisa vers la même époque, pour être sensiblement influencé par ce contact.

M. Chamberlain arrête toutefois ses regards aux frontières de l’Europe la plupart du temps, et c’est pourquoi il attribue des noms ethniques nouveaux aux trois tendances fondamentales sur lesquelles il établit symboliquement à son tour un idéal moral. Conservant le nom de germanique à son idéal, il rejette comme issu du Chaos des peuples ce que Gobineau condamnait comme sémitisé, ou noirci ; et il appelle juive, par une bizarre transposition psychologique, une mentalité que Gobineau baptisait finnoise, ou jaunie. Tel est le secret du parallélisme et des