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Lui qui ne souffrait plus personne sur son dos,
Où donc sont ses écarts, où donc sont ses galops ?
Maintenant chacun peut l’approcher, il est mort ;
Mais eux, qui l’ont tué, le redoutent encor :
On hésite, on se presse en cercle pour mieux voir
La blessure où le sang se fige et devient noir
Peu à peu, la nuit est venue et l’herbe est sombre.
Une torche allumée éclate et pourpre l’ombre.
Quelqu’un rit. Aussitôt un rire lui répond.
Tous parlent : Il est mort, enfin, qu’en fera-t-on ? —
Qu’on l’écorche, à moins qu’on ne laisse sur la place
Sa dépouille pourrir et devenir carcasse !
Celui-là l’injurie et l’outrage et de loin
Lui crache sur la croupe et lui montre le poing,
Tandis qu’un autre, en ayant peur qu’il se réveille,
Se penche sur Pégase et lui tire l’oreille.
Une immonde rancune enhardit ces vainqueurs
Qui s’agitent, avec des airs d’équarrisseurs.
Autour de ce cadavre ailé et qui, farouche,
Tient encore parmi l’écume de sa bouche,
Immortelle et toujours odieuse à leurs yeux,
La feuille de laurier qui fait de l’homme un Dieu !


LE JARDIN


Viens, car le crépuscule est l’heure où le jardin
Sent la feuille, la fleur, la terre et l’ombre moite,
Entre les buis égaux l’allée est plus étroite
Et dirige le pas qu’elle rend plus certain.

Qu’importent, au dehors, le champ et le chemin,
Le carrefour perfide et l’étang qui miroite…
Cette rose qui saigne à sa tige encor droite
Est ton seul souvenir de tout ce qui fut vain.

Le Passé tout entier, avec la nuit vivante,
Là-bas, renaît. Sa foule hostile infeste et hante
L’herbe grasse, le sentier mou, le bois obscur ;