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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/703

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elle aussi, à travers un rideau de brouillard ; de la même façon, je vis le voile se déchirer et une rangée de pics glacés se déployer dans la trouée, comme un morceau de la chaîne des Alpes immergé jusqu’à la hauteur des neiges et surgissant du milieu de l’Océan.

Les voilà, les « Spitz-Bergen, » les pics pointus qui frappèrent les regards de Barents : voilà le Hornsundstind, la première montagne qu’on aperçoive du large, émergeant comme une tour, à 1 3S0 mètres d’altitude, du milieu des champs de neige et de glace qui occupent l’intérieur de la grande île. Mais le puissant massif ne nous apparaît que confus et à demi caché par les brouillards, les glaciers se confondant avec les nuages, au-dessus desquels nous entrevoyons des pics noirs, lisérés de raies blanches. Le dessin ne pourrait rendre ce tableau qu’au crayon blanc sur papier noir, le blanc marquant la neige et la glace sur le fond noir de la terre et du ciel. La nouveauté du spectacle nous saisit d’étonnement. Le paysage, d’une sombre grandeur, d’une austère magnificence, emprunte à son caractère arctique une originalité si puissante qu’on cherche vainement des comparaisons : on se croit transporté dans un monde irréel, éclairé par une lumière inconnue, cette indéfinissable lumière polaire qui donne à tous les objets un aspect fantastique, presque surnaturel.

Les détails du paysage se précisent à mesure que nous approchons de la terre. Déjà nous distinguons les grands courans de glace bleue qui tombent à pic dans la mer. La ligne des monts se profile sous une chape de nuages plombés, qui planent assez haut pour nous laisser voir des cônes, des murailles, des tours ; ce que nous avions pris de loin pour d’immenses névés nous apparaît maintenant comme des nuages dont la pure blancheur contraste avec le noir des pics inaccessibles : ces nuages sont si blancs qu’à côté, les neiges elles-mêmes paraissent grises. Tandis que nous passons au large du Cap Sud, dont l’approche est défendue par de dangereux récifs, voici qu’apparaît, à deux ou trois milles de distance, à l’Est du Cap, une longue ligne blanche, d’un blanc si éclatant que nous ne pouvons en détacher les yeux : c’est le pack, la grande plaine de glace éternelle qui descend jusqu’au 76e degré le long de la côte orientale du Spitzberg, et que nous ne retrouverons qu’à 4 degrés plus au Nord en remontant la côte occidentale : ainsi, dès le 12 août, le pack bloque le Spitzberg du côté de l’Est, tandis qu’à l’Ouest, la mer