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gisemens de charbon, voici encore une carrière à exploiter pour la statuaire si les gisemens du Pentélique et de Carrare venaient à s’épuiser. Des myriades d’oiseaux polaires, des mouettes, des guillemots, des bruans, habitent cette montagne de marbre et ont leurs places de ponte dans les cavernes dont elle est criblée : nous sommes littéralement assourdis par la prodigieuse cacophonie que produisent les cris de ces oiseaux allâmes. Nous pataugeons sur la moraine dans une boue molle où l’on enfonce jusqu’à mi-jambe, cette boue qui est le désespoir des explorateurs polaires, et qu’engendre le constant travail d’imbibition qui ne s’arrête qu’en hiver.

Quittant cette odieuse moraine, nous nous engageons bientôt sur le glacier, armés du piolet et solidement attachés à la corde. M. Karl, que nous avons mis entre nous deux parce qu’il n’a pas de piolet ni même de bottes ferrées, se tire d’affaire beaucoup mieux qu’on n’eût pu l’attendre d’un débutant. Pourtant le travail est rude : la glace est sillonnée de profondes crevasses, qu’il nous faut longer jusqu’à ce qu’elles nous offrent un passage que nous puissions franchir en sautant. Trois fois, M. Karl, dont les semelles glissaient sur les pentes de glace, fut précipité dans ces crevasses, et, chaque fois, il dut la vie à la corde qui unissait nos destinées. Nous trouvons sur la glace quantité d’ossemens et de plumes dont la présence est due au voisinage de la roche aux mouettes : ces oiseaux en quête de nourriture n’hésitent pas à traverser au vol le fleuve de glace d’une rive à l’autre. Les cristaux de glace que nous récoltons sont identiques à ceux des Alpes. Les « moulins » abondent, avec leur eau bleue et leurs glouglous connus de quiconque a pratiqué les glaciers. Mais ce qui est bien particulier au Spitzberg, ce sont ces grottes de glace décrites par Garnwood, dont nous rencontrons un curieux spécimen : nous y récoltons non plus de la glace de glacier, mais de la glace de lac cristallisée ; ces grottes, en effet, ne se trouvent qu’à la sortie d’un lac, et l’on en doit conclure qu’un lac a dû exister antérieurement en cet endroit. Ces lacs de glacier sont encore un phénomène particulier aux régions arctiques : on les rencontre, au Spitzberg comme au Groenland, sur toutes les grandes nappes de glace. Nous notons, pour l’eau du glacier, une température de + 0,3 ; pour celle de l’eau courante, de + 0,1 ; pour celle de l’air, de + 4,7. Le glacier est aussi tiède, à cette heure matinale, qu’il le serait en Suisse à trois heures de