Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 18.djvu/722

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il n’avait rompue encore qu’une fois depuis qu’il a quitté le pouvoir. Quel usage faisait-on de la loi de 1901 ? Et que prétendait-on en tirer qu’il n’avait pas voulu y mettre ? Qu’était-ce donc que « cette instabilité d’ordre particulier, celle des solutions proposées ? » Où le gouvernement nous conduisait-il, à la suite, tantôt de M. Girard, et tantôt de M. Delpech, mais toujours à la suite de quelqu’un et à la recherche de quelque chose ? « Ceux qui aiment naturellement à vivre, ne fût-ce qu’un jour, sur les idées qu’ils se sont formées la veille, éprouvent quel que embarras devant le spectacle sans cesse changeant qui leur est offert et les transformations qui ne portent pas sur le décor, mais sur le sujet lui-même. » M. Waldeck-Rousseau, quant à lui, n’avait pas le moindre doute sur l’excellence de son œuvre : il n’avait de regret que parce qu’on la gâtait en la continuant.

Il éprouve le même genre de stupéfaction qu’éprouveraient les grands bourgeois de 1789 si, revenus un instant sur la terre, ils constataient les conclusions que le socialisme entend faire sortir du triple cri qu’ils ont jeté aux hommes : Liberté, Égalité, Fraternité ! Peut-être eût-il mieux fait de mesurer plutôt la portée de son geste. C’est le danger des lois, comme celui des grands mots et des beaux discours, qu’elles contiennent toujours plus qu’on ne pensait y mettre. Eh quoi ! tout cela était-il dans ceci ? Tout cela y était, et, si vous ne vouliez pas qu’on l’en fît sortir, il fallait prendre garde à ne pas l’y mettre.

Voilà ce qu’on eût pu dire à M. Waldeck-Rousseau, et bien d’autres choses encore. On eût pu lui répondre par l’adage : « Patere legem quam ipse fecisti, » si d’autres que lui n’en avaient déjà souffert et n’en devaient souffrir plus que lui-même. Aussi bien M. Waldeck-Rousseau est-il, à ses propres yeux, sans reproche et sans repentir : « Voulez-vous, messieurs, vous poser cette question : quelle serait aujourd’hui l’impression de l’opinion publique si on lui avait dit : « En moins d’un an, nous allons fermer cinq mille écoles, — voulez-vous que ce soit quatre, voulez-vous que ce soit trois, — et disperser tant d’ordres religieux dont la parole retentit dans toutes les chaires catholiques ? Elle eût accueilli ce programme comme un des plus considérables qu’on lui eût proposés et elle eût salué son accomplissement comme un des résultats les plus considérables que l’on pût obtenir. » Il ne se plaint que de l’excès, et l’excès, pour lui, c’est ce qu’il n’eût pas fait, et que ses successeurs ont fait. M. Clemenceau le lui a durement signifié, et sa diatribe pourrait se résumer en cette seule phrase du langage vulgaire : « Vous vous plaignez qu’on ait changé votre enfant en nourrice : vous n’aviez qu’à l’élever vous-même ! » C’est en effet,