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ciel nocturne, nous annonçant les zones vraiment tempérées que nous venons enfin d’atteindre.

Les caravansérails, par ici, prennent le nom de jardin ; et dans cette région édénique de l’éternel beau temps, ce sont des jardins, en effet, que l’on offre aux voyageurs comme lieu de repos.

Une grande porte ogivale nous donne accès dans l’espèce de bocage muré qui sera notre gîte de la nuit ; c’est presque un bois, aux allées droites, dont les beaux arbres sont tous des orangers en fleurs ; on est grisé de parfum dès qu’on entre. Aux premiers plans, des voyageurs de caravane, assis çà et là par groupes sur des tapis, cuisinent leur thé au-dessus d’un feu de branches, et les allées au fond se perdent dans le noir.

L’hôte, cependant, juge que des Européens ne peuvent pas, comme les gens du pays, dormir en plein air sous des orangers, et fait monter nos lits de sangle, au-dessus de la grande ogive d’entrée, dans une chambrette où le sommeil tout de suite nous anéantit.


22 avril. — La chambrette, comme toutes celles des caravansérails, était absolument vide et d’une malpropreté sans nom. Le soleil levant nous révèle ses parois de terre noircies par la fumée, et couvertes d’inscriptions en langue persane ; son plancher semé d’immondices, épluchures, vieilles salades, plumes et fientes de hiboux. Mais, par les crevasses du toit où l’herbe pousse, par les trous du mur sordide, entrent des rayons d’or, des senteurs d’oranger, des aubades d’hirondelles ; alors, qu’importe le gîte, puisque l’on peut tout de suite descendre, s’évader dans la splendeur ?

En bas, le merveilleux bocage est en pleine gloire du matin, sous le ciel incomparable où vibre la chanson éperdue des alouettes. On respire un air à la fois tiède et vivifiant, d’une suavité exquise. Les grands orangers, au feuillage épais, étendent une ombre d’un noir bleu sur le sol jonché de leurs fleurs. Tous les gens de caravane, qui ont campé cette nuit dans les allées, s’éveillent voluptueusement, étendus encore sur leurs beaux tapis d’Yezd ou de Chiraz ; ils ne repartiront, comme nous-mêmes, qu’à la tombée du soleil ; nous sommes donc appelés à passer l’après-midi ensemble et à lier connaissance, dans cet enclos délicieux et frais qui est l’hôtellerie.