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Bientôt arrivent de la ville les marchands de pâtisserie et les bouilleurs de thé ; ils installent à l’ombre leurs samovars, leurs minuscules tasses dorées ; ils préparent les kalyans à long tuyau, qui sont les narghilés de la Perse et dont la fumée répand un parfum endormeur.

Et, tandis qu’alentour paissent nos chevaux et nos mules, la journée s’écoule, pour nous comme pour nos compagnons de hasard, dans un long repos sous les branches, à fumer, à rêver en demi-sommeil, à s’offrir les uns aux autres, en des tasses toutes petites, ce thé bien sucré qui est le breuvage habituel des Persans. La paix de midi surtout est charmante, sous ces orangers qui maintiennent ici leur crépuscule vert, pendant qu’au dehors le soleil étincelle et brûle, inonde de feu les arides montagnes entre lesquelles Kazeroun est enfermée.

Dans ma petite caravane, nous commençons tous à nous connaître ; mon tcharvadar Abbas et son frère Ali sont devenus mes camarades de kalyan et de causerie ; tout semble de plus en plus facile, le paquetage de chaque soir, l’organisation des partances : et comme on se fait vite à la saine vie errante, même aux gîtes misérables et toujours changés, où l’on arrive chaque fois, harassés d’une bonne fatigue, au milieu de la nuit noire !…

À quatre heures, nous nous apprêtons à repartir, très tranquillement sous ces orangers. Pour spectateurs de ce départ, deux ou trois personnages qui fument leur kalyan par terre, deux ou trois bébés curieux, d’innombrables et joyeuses hirondelles. À cause des brigands, quatre gardes bien armés, fournis par le chef du pays, chemineront avec nous, et, à la file, nous nous engageons sous l’ogive noire et croulante qui est la porte du jardin charmant.

D’abord il faut traverser Kazeroun, que nous n’avions pas vue hier au soir. Petite ville du temps passé, qui persiste immuable, au milieu de ses peupliers et de ses palmiers verts. À l’entrée, des enfans, parmi les hautes herbes fleuries, — des tout petits garçons qui portent déjà de longues robes comme les hommes et de hauts bonnets noirs, — jouent avec des chevreaux, se roulent dans les folles avoines et les marguerites. Quelques coupoles d’humbles mosquées blanches. Des maisons très fermées dont les toits en terrasse sont garnis d’herbes et de fleurs comme des prairies. Des jardins surtout, des bocages