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A Monsieur Cornélis de Witt.


Paris, mercredi, 1er novembre 1848.

Mon cher de Witt,

Je suis à l’École depuis lundi 30. Me voilà au couvent, enfermé, prisonnier pour trois ans. Sans cela, tu peux compter que je serais allé te voir. Comme tu le penses, j’ai beaucoup à te dire ; et il n’y a personne à qui j’aime mieux causer de ce que je sens et de ce qui m’arrive qu’à toi, mon meilleur ami.

Je crains bien que nous ne soyons obligés de continuer notre liaison par correspondance. J’ai très peu de récréation à l’Ecole ; je ne pourrai guère te voir que le dimanche et le jeudi ; c’est sur le jeudi que je compte. Nous sortons à midi ; si tu veux venir quelquefois me chercher en quittant l’Ecole de droit, nous reviendrons ensemble dans ton quartier, et nous pourrons bavarder, à plaisir.

Je connais déjà mes maîtres et mes camarades. Tous me semblent bienveillans et aimables ; quoique la discipline soit stricte, le régime est assez doux ; et en somme l’Ecole est assez confortable. Malheureusement, mon cher, les élèves me semblent un peu écoliers, et les maîtres un peu routiniers. Peu d’idées, peu d’originalité, je crois ; des talens médiocres ; beaucoup de science ; peu de génie ; l’histoire est peu philosophique, la philosophie peu métaphysique. Je crois que je serai obligé de travailler seul, comme auparavant. Du reste, tout ceci n’est qu’une première vue, et une appréciation à la volée ; pourtant, je suis porté à croire qu’il en est de mes professeurs d’Ecole comme de tes professeurs de droit.

As-tu passé toutes tes vacances au bord de la mer ? J’ai vu par hasard ton frère au milieu de la rue ; si tu as aussi bruni que lui, je t’en fais mon compliment ; tu dois ressembler aux marins tes ancêtres et avoir l’air respectable d’un loup de mer. Moi de même, je suis tout noirci. J’ai l’air d’un vrai paysan.

Ne deviens-tu pas poète, sur le rivage de la mer ? Il me semble, par une certaine lettre et de certains vers que tu me citais, que tu es un admirateur passionné de ces grands et riches spectacles. De l’admiration à la poésie, il n’y a pas loin ; et je te soupçonne véhémentement d’avoir commis quelques odes fugitives, quelques ballades secrètes. Si cela est, je réclame, et je