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bûches, et à ne pas bénir l’enchaînement des causes secondes.

Tu comprends que, dans un pareil état, mes coursiers, non, mes élèves oisifs ont oublié ma voix. Voici un nouveau malheur qui me tombe sur la tête. C’est toujours l’Université, notre bonne mère, qui me poursuit. Ordre est venu d’opter entre l’emploi de maître de conférences dans les institutions libres, et le titre de membre de l’Université. Mon choix serait vite fait, car je ne tiens guère à conserver le haillon qui me reste de ma triste robe. Mais il faudrait, si je donne ma démission, payer les trois ans de pension à l’Ecole normale. J’essaie de négocier en ce moment, leur représentant que je ne suis titulaire d’aucune chaire, que je ne touche aucun traitement, que je suis en congé sur des attestations de médecin, qu’il faut bien que je gagne ma vie si je veux vivre, etc. Je désespère de gagner ma cause. Il paraît qu’on veut faire rentrer dans le giron inhospitalier tous ceux qui s’y sont trouvés mal, et ont préféré la liberté sur la montagne (Sainte-Geneviève). Mais, quoi qu’il arrive, j’en jure par les dieux immortels, je ne rentrerai pas.

Mon Tite-Live est fini depuis un mois. Je n’ai pas encore osé le relire. M. Guillaume me promet son Ménandre, j’y trouverai les meilleurs conseils possibles, c’est-à-dire un modèle heureux. Tout ce que je puis te dire, c’est que j’ai mis six mois à faire mon bouquin, et tu sais que je travaille un bon nombre d’heures par jour. Je suis toujours des cours d’histoire naturelle, et, en tisonnant mon feu, je fais le plan de cette psychologie dont je t’ai tant parlé et à laquelle je travaille depuis trois ans.


Car que faire en un gîte à moins que l’on ne songe ?


Tu as le soleil, la famille. Autour de moi, les choses sont noires ou grises. C’est pourquoi j’essaie de vivre en dedans. Cela est plus vrai que tu ne penses. Je travaille plus pour occuper le présent que pour préparer l’avenir. Mon travail vaut-il quelque chose ? J’en doute. Mais je sais bien qu’il m’est un remède contre mon ennui.

J’ai lu Macaulay, que j’admire infiniment. Merci de cette idée. J’espère que tu me répondras plus longuement que tu n’as fait ; et, sur ce, je te serre la main, te souhaitant pour tout l’hiver « ton rosier fleuri. »