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voir le grand mouvement et la marche dramatique des événemens. Les anciens composent moins bien que les modernes. Il n’y a point de philosophe chez nous dont les ouvrages soient aussi peu suivis que ceux d’Aristote. — Pour les réflexions morales, tu verras un morceau bien beau et bien triste après les séditions de Corcyre. J’imagine aussi que tu es encore dans le premier livre, lequel est occupé en grande partie par un exposé de l’ancien état de la Grèce. Au reste, tu reconnaîtras, je crois, que nul historien ancien n’a plus de ressemblance avec celui dont il s’agit. A vingt siècles de distance, on ne peut comparer que les traits généraux.

L’Académie, m’a-t-on dit, donnera sa décision jeudi prochain.


A Guillaume Guizot[1].


3 juin 1854.

Mon cher Guillaume, il paraît, non pas que je vous ai remercié trop tôt, mais que vous m’avez félicité trop vite. Tite-Live est retourné dans les futurs contingens. Grande discussion hier jeudi, non terminée et renvoyée à mardi. J’ai vu M. Patin, qui a eu l’obligeance de me défendre ; mais on me reproche :

Trop peu de respect pour Tite-Live et les grands hommes en général ;

Un style trop peu grave ;

Manque d’élégance dans les traductions ;

Inclination trop forte pour les idées modernes en fait d’histoire, etc.

Mon impression est que j’ai encore deux chances sur cinq. Je vous écrirai mercredi la décision. Merci, quoi qu’il arrive, de votre ancienne, présente et future sympathie :


Non ignare boni, miser is succurrere nosti.


Dans ces grandes vicissitudes de la fortune, je fais comme vous, je lis Henri Beyle ; cela distrait de tout ; je m’amuse même à prendre des notes sur Rouge et Noir ; je voudrais me rendre compte de cette manière étonnante. Par quel hasard un homme peut-il se faire relire un si grand nombre de fois ? A la première impression, on est frappé, enchanté, pénétré, mais rien de plus.

  1. Guizot (Maurice-Guillaume), fils de M. F. Guizot et professeur au Collège de France, 1833-1892.