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à nous-mêmes : d’abord des sommes importantes, qui auraient dormi chez nous, ont trouvé là un emploi fructueux ; en outre, cet emploi a épargné à nos voisins une crise monétaire, qui aurait entraîné la dépréciation des valeurs que nos capitalistes ont achetées sur ce marché, et se serait répercutée sur les affaires en France même. C’est pour éviter un tel contre-coup, en atténuant la crise causée par la chute de la grande maison Baring, que, dès 1889, la Banque de France avait, fort sagement, avancé 100 millions à la Banque d’Angleterre.

Il n’est ainsi nullement douteux qu’un affaiblissement de la puissance financière de l’Angleterre affecterait dans une large mesure les capitaux français ; ne le voit-on pas déjà par les suites que la guerre du Transvaal a eues sur le marché des mines d’or ? Si des difficultés entre la France et l’Angleterre, si des craintes de guerre, pour ne pas parler de la guerre elle-même, venaient détourner nos capitaux du marché de Londres, ils y perdraient des occasions de placemens avantageux, qu’ils retrouveraient malaisément ailleurs. N’est-ce pas encore là une considération importante pour un pays comme le nôtre, qui amasse plus de capitaux qu’il n’en peut employer chez lui ? De son côté, l’Angleterre ne doit-elle pas redouter la perte d’un soutien si efficace dans les temps de crise, que l’activité même des affaires ramène presque périodiquement à Londres ? Au point de vue financier, comme au point de vue commercial, la France et l’Angleterre ont l’intérêt le plus manifeste à la prospérité l’une de l’autre et au maintien entre elles de relations cordiales.

Voilà peut-être des raisons bien terre à terre pour gouverner la politique d’une grande nation ! Certes s’il subsistait, en dehors de ces questions d’affaires, de graves motifs de désaccord entre les deux pays, on pourrait examiner s’ils ne doivent pas l’emporter. Mais, si les considérations politiques qui ont déterminé dans le passé l’inimitié de la France et de l’Angleterre, ont aujourd’hui disparu ; s’il est vrai que chacune d’elles doit faire face à des périls bien plus graves que ceux qui peuvent lui venir de l’autre ; si toutes deux acceptent sans arrière-pensée, comme tout donne lieu de le croire, les frontières que les traités en vigueur tracent à leurs empires d’outre-mer, déjà bien assez vastes, ne convient-il pas de se rendre aux raisons pratiques qui leur conseillent une bonne et durable entente ? Les quelques litiges coloniaux secondaires qui subsistent entre les Anglais et nous, et