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l’Éthique a inspirés, à Gœthe (qui est toujours nommé le « Grand Aryen » dans les Assises), à Lessing, à Schleiermacher, à Jacobi. Et si Kant a davantage échappé à son influence directe, il n’en fut pas de même des continuateurs du sage de Kœnigsberg, un Schelling, un Hegel. La philosophie allemande classique n’est guère, à vrai dire, qu’une paraphrase du spinozisme, et nul n’en est plus profondément, quoique plus inconsciemment pénétré que Schopenhauer. M. Chamberlain, impérialiste divisé contre lui-même, reproche surtout à Spinoza d’avoir fondé le droit sur la force, et il ajoute[1] : « Qu’il ait ensuite tiré, de semblables prémisses, une morale élevée, cela prouve seulement ses dons innés de casuiste. » Quelle méconnaissance regrettable d’un des plus nobles ouvriers de la morale humaniste ! Il n’y a aucune casuistique dans l’édifice éthique de Spinoza, mais au contraire une puissante et saine logique constructive, et les fondations en sont d’ailleurs tout autant aryennes que sémitiques, si le stoïcisme, perfectionné par le christianisme, en a fourni les matériaux essentiels. — Enfin les théoriciens juifs du collectivisme contemporain, Marx, Lassalle, Bernstein, se voient encore plus dédaignés que leurs pères par M. Chamberlain, qui, tout en les invitant à s’occuper des affaires de leur peuple, leur oppose son compatriote Thomas Morus, dont l’Utopie, si pénétrée de sentiment religieux, annonce beaucoup mieux, à son avis, ce que sera peut-être quelque jour le socialisme germanique.

Remarquons en terminant que la religion juive, parfois si maltraitée dans les Assises, y rencontre aussi les mêmes retours d’indulgence extrême que nous avons notés à propos de la constitution physique et morale d’Israël. Tantôt M. Chamberlain nous présente parmi ces prétendus matérialistes « maint pieux rabbin vivant dans l’humilité, l’observation de la loi, la charité, la tolérance, en sorte qu’il serait à tout peuple un honneur, et à toute religion un appui[2]. » Tantôt l’Ancien Testament, cette

  1. P. 170.
  2. P. 451.