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chrétien orthodoxe, persuadé que le Christ est Dieu au sens propre du mot, le détachât en conséquence de son milieu judaïque, ne vit dans les circonstances de sa vie terrestre que hasard sans conséquence, ou plutôt mystère impénétrable de la Volonté suprême. Mais ce chrétien ne s’efforcerait pas du moins à faire de son Sauveur un fils de sa propre race. Si le Christ n’est pas Juif à ses yeux, c’est parce qu’il est plus qu’un homme et qu’il plane bien au dessus des nationalités terrestres.

Tel n’est pas le sentiment qui anime M. Chamberlain. Il est intimement convaincu que la race se traduit dans la pensée et que la pensée est le critérium infaillible de la race. Une pensée dont il ressent par toutes les fibres de son âme la parenté, la fraternité même, et l’irrésistible attraction sur son être intime, une pensée si efficace à l’émouvoir ne saurait donc être à aucun prix reconnue par lui pour la fleur ou le fruit de la race qu’il a proclamée d’abord antagoniste, antipathique à son essence. De là à affirmer présente dans le sang l’affinité constatée dans les circonvolutions cérébrales, il n’y a qu’un pas. Dès longtemps Richard Wagner[1] et ses Bayreuther Blaetter[2] (où M. Chamberlain gagna ses éperons philosophiques), ont fait du Christ un Aryen. Toutefois l’auteur des Assises ne va pas absolument jusque-là, de façon expresse tout au moins, bien qu’une telle conclusion soit le corollaire évident de toute sa discussion sur ce point. Il se contente d’établir de son mieux, par quelques prestidigitations ethniques, que Jésus ne fut pas Juif de sang : quant à démontrer l’aryanisme du Sauveur, il ne le tente pas sur le terrain anthropologique, et il ne fournit qu’un argument implicite, qui est l’inspiration sublime de l’Evangile : mais nous venons de rappeler que cet argument-là lui paraît d’ordinaire plus que suffisant, qu’il est même le seul décisif à ses yeux !

Voyons la première partie de la thèse. Que le Christ ne soit pas un Juif, cela résulte pour M. Chamberlain de la situation ethnique dans la Galilée, patrie de Jésus[3]. Il a une

  1. Werke, X, 232.
  2. Voir dans le numéro de janvier-février 1886, l’article de A. SeidI, intitulé Jésus l’Aryen. Récemment, un critique d’art parisien s’étonnait de trouver cette mention singulière sous une toile envoyée par un Septentrional à nos Salons annuels. Elle ne surprend plus les spectateurs renseignés en pays germanique, et certains Français commencent à s’y rallier. (Voyez G. de Lafont, les Aryas de Galilée, Paris, 1903.)
  3. P. 212 et suiv.