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Mais j’ai tort. Reprenons courage et confiance.
L’Enfant-Dieu ne veut pas qu’on tremble devant lui.
Je prétends l’adorer et le voir aujourd’hui
Avec les yeux, avec l’âme de mon enfance.

Car mes soirs de Noël les meilleurs, je les eus
Alors qu’innocemment — Bonne Vierge, pardonne ! —
Je confondais un peu ma mère et la Madone,
Et quand j’étais pour elle un peu l’Enfant-Jésus.

Elle m’avait montré, dans un livre d’images,
Saint Joseph s’appuyant, las, sur son grand bâton,
Les rustiques pasteurs sous leurs peaux de mouton,
Et, coiffés de turbans somptueux, les Rois Mages.

Comme il s’était gravé dans mon cerveau tout neuf,
Cet enfant radieux dans cette étable sombre
Où, sur le mur croulant, se dresse et grandit l’ombre
Des oreilles de l’âne et des cornes du bœuf !

Je retrouve aujourd’hui l’impression première :
A genoux, cils baissés devant le cher petit,
La Vierge est là, priant son Fils qui resplendit
D’une mystérieuse et céleste lumière.

Je le vois comme alors, le divin nouveau-né :
Dans un geste charmant qui bénit et qui joue,
De sa petite main il caresse la joue
Du pâtre en cheveux gris devant lui prosterné ;

Ou bien, si gracieux, nu malgré la nuit fraîche,
Il se roule en tenant à plein poing son orteil,
Et son corps potelé brille comme un soleil
Et transforme en rayons les pailles de la crèche