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l’expansion intégrale de nos facultés, et le paradoxe de « l’énergie ! »

Quand on vient de faire route avec ce charmant compagnon de voyage qu’est César de Saussure, et de terminer cette lecture que Voltaire qualifiait « d’amusante et d’utile, » il est bien vrai qu’on s’est instruit autant que diverti. Car on voit, avec une clarté qui est celle de l’évidence, en quoi a consisté cette influence anglaise, qui ne va cesser d’aller croissant à travers notre XVIIIe siècle, et on comprend quels changemens elle devait amener, en se propageant, dans nos idées et dans nos mœurs. Les opinions de César de Saussure ne sont pas des opinions singulières ; cet homme aimable ne se soucie pas plus d’être original qu’il ne redoute d’être sincère. Il emprunte maintes fois à Muralt idées et expressions : de Vaudois à Bernois, ce sont privautés de bon voisinage. Saussure reflète très exactement son milieu : il est un interprète de l’opinion communément répandue dans la société où il a vécu. Cette opinion consistait à exalter l’Angleterre pour l’opposer à la France. On ne niait pas qu’il n’y eût encore des traces de barbarie dans la première ; mais comme on en peut trouver dans un pays plein de sève et de vigueur qui marche hardiment dans la voie du progrès et s’y est avancé plus loin qu’aucun autre. On ne contestait pas davantage qu’il n’y eût encore bien de l’agrément et de la politesse dans les mœurs françaises ; mais c’était l’élégance vieillie d’une société près de tomber en ruines. Et on voit pareillement ce que les philosophes français sont allés chercher dans cette Angleterre où les guidaient les gazetiers hollandais et les voyageurs suisses. Ils y ont trouvé des exemples qui les ont aidés à combattre les abus de leur temps : ç’a été la partie bienfaisante de leur œuvre, et c’est bien à quoi il sert en tout temps de s’informer de ce qui se passe à l’étranger. Ils y ont puisé en outre des armes contre tout ce qui leur déplaisait en France et qui était d’abord son gouvernement, mais ensuite sa religion, ses coutumes et son esprit traditionnel.


René Doumic.