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ajouta un certain nombre d’autres Carmontelle qu’il possédait déjà. C’est cette précieuse collection que M. F.-A. Gruyer, l’éminent conservateur du Musée Condé, nous présente dans ce volume, en ajoutant à l’attrait de cette belle publication, éditée avec luxe, dont les planches sont des reproductions fidèles des originaux, son commentaire historique et des notices où la connaissance des personnages et de leur temps égale l’érudition d’art. Si quelques-uns de ces portraits laissent à désirer au point de vue de la correction, le dessin en est toujours spirituel, la couleur agréable, et donne à tel point l’impression de la vie qu’après les avoir vus, on ne les oublie pas.

Tout ce qu’on a dessiné de gracieux, depuis le XVIIIe siècle, sur la femme française, et sur la plus fine et la plus séduisante d’entre toutes, sur la Parisienne[1], dont le type idéal et aimable a servi, en tous temps, de modèle à nos grands peintres, toutes les peintures, esquisses, estampes de prix, ou tout simplement fameuses, se trouvent réunies dans cette publication, qui compte 1 400 reproductions, dont les épreuves originales sont dispersées un peu partout dans les grandes collections publiques, les cartons des amateurs, les musées, les bibliothèques, et qu’aucun ne pouvait se flatter de rassembler toutes.

Elle nous apparaît ici sous le pinceau des Coypel, des Boucher, des Fragonard, des Greuze, des peintres les plus fameux de la beauté féminine, et, sous les apparences les plus aimables, se révèle à nous, à toute heure du jour et de la nuit, avec ou sans voiles, dans toutes les élégances de la toilette ou du déshabillé, mais conservant toujours, avec le souci de l’attitude, le désir de plaire : seule sa pudeur est endormie, mais sa coquetterie veille encore.

Dans cette série, qui résume près de trois siècles de grâce féminine et enchanteresse, combien d’exquises œuvres d’art, de merveilleux documens pour l’histoire des modes et des mœurs ! Avec quelle justesse et quel goût ces peintres charmans, précieux témoins du passé, nous décrivent leur époque et nous font pénétrer dans le domaine mystérieux de l’intimité, le désordre amusant, pittoresque dont on s’accommodait jadis ! C’est bien là leur siècle peint au naturel, en négligé, avec un réalisme aimable qui ne semble jamais aller trop loin ; et, parce que leurs modèles sont beaux et bien choisis, ils conservent une certaine grâce chaste, inconnue des artistes contemporains, qui ont perdu la tradition galante du XVIIIe siècle. Sans doute dans toutes ces scènes familières, qui vont d’Abraham Bosse à Chaplin,

  1. R. Baschet.