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tous les points une égale solidité, ce qui arrive quelquefois lorsqu’on perd en homogénéité ce qu’on gagne en étendue. Au bout de peu de jours, M. Giolitti avait fait son ministère, et il avait montré dans la rapidité autant que dans le succès de ses opérations de précieuses qualités d’exécution. Il voulait réussir, il a réussi.

Mais, à peine était-il constitué, le ministère a été frappé d’un malheur inopiné, le plus propre peut-être à déconcerter un homme doué de moins de sang-froid que M. Giolitti. Un des deux ministres que les partis avancés avaient frappés d’ostracisme, et au sujet desquels ils annonçaient bruyamment l’intention de poser « la question de moralité, » M. Rosano, s’est suicidé. Les lettres qu’il a écrites avant d’accomplir cet acte de désespoir donnent à penser que des chagrins privés n’ont pas été étrangers à sa résolution. M. Rosano était malheureux. Les accusations lancées contre lui ont achevé de troubler et d’égarer sa raison : il s’est réfugié dans la mort, laissant ses amis dans la consternation et ses collègues dans un grand embarras. Au premier moment, M. Giolitti a parlé de donner sa démission, puis il s’est ravisé, et il a d’autant mieux fait que sa retraite, si elle s’était produite dans ces conditions, aurait été interprétée comme un aveu de la culpabilité de M. Rosano. Tout le Midi cependant a pris fait et cause pour le ministre défunt, et Naples lui a fait des funérailles où l’irritation se mêlait à l’émotion. C’étaient les mauvais propos des gens du Nord qui avaient tué M. Rosano ! En Italie, quelques progrès qu’ait faits l’unité politique du pays, l’esprit régional n’a pas disparu : il est maintenu par l’opposition des intérêts. En nommant M. Rosano ministre, M. Giolitti, qui lui-même est Piémontais, avait voulu donner un gage aux Méridionaux. Cet épisode était malencontreux ; mais quelques jours devaient s’écouler encore avant la réunion des Chambres, et le temps arrange bien des choses. M. Giolitti a pourvu à la vacance qui s’était faite dans son ministère, et il a mis tous ses soins à la rédaction d’un programme ministériel qui, aussi éclectique que la composition du cabinet, ne se proposait rien de moins que de satisfaire tout le monde. Ce qu’il y a d’admirable, c’est qu’il y a réussi, ou peu s’en faut. Les amis du gouvernement, voulant lui faire la part large, disaient d’avance qu’il aurait une quarantaine de voix de majorité, peut-être un peu davantage, tandis que ses adversaires le mettaient en minorité d’une dizaine. M. Giolitti, dépassant, et de beaucoup, les prévisions les plus optimistes, a eu 167 voix de majorité. Ses adversaires ont prétendu alors que c’était trop, que cela ne voulait plus rien dire, et qu’il aurait mieux valu une