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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 19.djvu/218

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quelques semaines chez lui, dans son domaine de Mérange. La diphtérie sévit dans le pays : elle s’abat sur l’enfant. Marianne, prévenue, accourt en toute hâte. Voilà ce père et cette mère installés au chevet de leur enfant ; ils le disputent à la mort, ils le sauvent. Mais pendant qu’ils le veillaient et qu’ils avaient l’un et l’autre même inquiétude, ils se sont remis à n’avoir à eux deux qu’une seule âme. Ils ont senti qu’il y avait en eux quelque chose qui leur était commun et qui les différenciait du reste du monde. Cette impression s’est manifestée à eux de façon visible le jour où le petit convalescent, de ses mains amaigries, cherchait à faire se joindre leurs deux mains. Le père et la mère indissolublement unis dans l’enfant, c’est ce qu’a voulu montrer M. Hervieu. Et pour qu’on ne pût se méprendre sur son idée, il a usé du procédé qui consiste à en mettre sous nos yeux une seconde traduction, une réplique et une contre-épreuve. C’est à quoi sert dans la pièce la présence du ménage d’Hubert et de Paulette ; elle ne sert pas à autre chose, et cela même fait que jusqu’alors elle nous avait semblé assez inutile. Hubert et Paulette font un ménage bien parisien, c’est-à-dire un fort mauvais ménage. Hubert trompe sa femme gaiement et sans y entendre malice ; Paulette trompe son mari ardemment, avec une jouissance de perversité. Or ils habitent un château voisin de celui de M. de Pogis. La diphtérie y a fait aussi son apparition, et, plus cruelle, elle a tué leur enfant. Sous ce coup effroyable ils se sont sentis pareillement frappés, et la communion dans la souffrance les a réconciliés. Désormais, il est de toute évidence que Marianne appartient de nouveau à son premier mari. Aussi lorsque celui-ci, sous prétexte d’avoir avec elle une explication, et de se justifier de sa conduite passée, s’introduit auprès d’elle la nuit et force sa porte, nous n’avons aucune espèce de doute sur l’issue de cette scabreuse entrevue. Ce cri de passion qui emporte toutes les pudeurs, tous les scrupules d’honnêteté, ce cri : « Je suis à toi, » nous ne pouvons en être surpris, si nous en sommes malgré tout choqués, car nous l’attendions ; et il ne fait qu’exprimer une révolution et des sentimens que, depuis le début de l’acte, nous lisions clairement dans l’âme de Marianne.

Dans une minute d’affolement, Marianne est revenue à son premier mari. Que peut-il advenir maintenant ? Car Marianne est trop foncièrement honnête pour se prêter ni à une comédie, ni à un partage. Elle nous l’a répété maintes fois, et nous ne supposons pas un seul instant qu’elle puisse, reprenant la vie auprès de Guillaume, garder Max comme amant. Tout le quatrième acte sera consacré aux efforts impuissans et condamnés d’avance que font les divers personnages du