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« J’aurais pu sans doute me passer de vous parler de cet attachement dont l’exemple n’est pas bon à suivre. Mais, après avoir tiré plusieurs instructions des manquemens que j’ai remarqués dans les autres, je n’ai pas voulu vous priver de celles que vous pouviez tirer des miens propres. »

La première « instruction » à tirer de ses « manquemens, » c’est qu’il ne faut pas perdre son temps avec les femmes : « Que le temps que nous donnons à notre amour ne soit jamais pris au préjudice de nos affaires. » La seconde « considération…, c’est qu’en abandonnant notre cœur, il faut demeurer maître absolu de notre esprit ; que nous séparions les tendresses d’amant d’avec les résolutions de souverain ; que la beauté qui fait nos plaisirs n’ait jamais la liberté de nous parler de nos affaires, ni des gens qui nous y servent, et que ce soient deux choses absolument séparées.

« Vous savez ce que je vous ai dit en diverses occasions contre le crédit des favoris ; celui d’une maîtresse est bien plus dangereux. »

Louis XIV insistait longuement sur l’infirmité d’esprit qui rend les femmes dangereuses. Il les avait étudiées de près, et il jugeait « ces animaux-là » à peu près comme Arnolphe : « Elles sont, disait-il au dauphin, éloquentes dans leurs expressions, pressantes dans leurs prières, opiniâtres dans leurs sentimens… Le secret ne peut être chez elles dans aucune sûreté. » Elles agissent toujours par calcul et, en conséquence, par « adresses » et « artifices. » Quoi qu’il en puisse coûter à un cœur amoureux, un prince ne saurait prendre trop de « précautions » avec ses maîtresses ; il y va quelquefois de son trône. Pauvre La Vallière ! si désintéressée, si peu intrigante. Quelle douleur, si elle avait lu ces pages cruelles !

Les conseils que l’on vient de lire sont très politiques et très prudens ; ils n’ont rien à faire avec la morale ou la religion. Les Mémoires royaux ajoutent bien quelque part que « le prince… devrait toujours être un parfait modèle de vertu, » et, aussi, que le devoir du chrétien est « de s’abstenir de tous ces commerces illicites qui ne sont presque jamais innocens. » C’était le moins que pût dire un père s’adressant officiellement à son fils. Au fond, Louis XIV n’avait pas retiré grand’chose, quant à la discipline morale, d’une religion dont il connaissait presque uniquement les pratiques. Pendant son enfance, sa mère s’était réservé