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hautes meules qui s’élevaient partout rappelaient aux paysans les grands travaux de drainage ordonnés par l’Empereur en 1807 et grâce auxquels cette région de marais, infertile et malsaine, s’était transformée en vaste prairie. « — Vous voyez, dit-il à Beker, les populations me savent gré du bien que j’ai fait. Partout où je passe, je reçois les témoignages de leur reconnaissance. »


II

Depuis quatre jours, le préfet maritime était informé, par des dépêches de Decrès, de la très prochaine arrivée de Napoléon. Decrès lui avait prescrit de faire aménager les frégates la Saale et la Méduse pour y embarquer l’Empereur et sa suite à destination des Etats-Unis. Ces bâtimens devaient être prêts à appareiller douze heures après que l’Empereur serait à Rochefort, « si toutefois la croisière ennemie n’était pas dans le cas de s’y opposer. » Bonnefous avait aussitôt donné des ordres aux commandans de la Saale et de la Méduse, les capitaines Philibert et Ponée. Des vivres pour quatre mois et demi avaient été apportés à bord, on avait complété les équipages, embarqué les canots, envergué les voiles. Le 3 juillet, à huit heures du matin, quand l’Empereur descendit de voiture devant la préfecture maritime, tout était disposé pour appareiller.

Impatient de partir, l’Empereur voulait s’arrêter seulement quelques instans à Rochefort et aller incontinent s’embarquer en rade. Il s’informa si les frégates étaient prêtes. Bonnefous l’en assura, mais il dit, comme il l’avait écrit la veille, que les pertuis étaient bloqués et les vents contraires. Sur le désir de Napoléon, Beker réunit en conseil à la préfecture plusieurs officiers supérieurs de la marine et le vice-amiral Martin. En disponibilité depuis 1810, Martin s’était retiré à la campagne, près de Rochefort ; apprenant l’arrivée de l’Empereur, il avait dans l’instant quitté sa retraite pour venir le saluer. Le conseil, à qui le préfet maritime fit partager ses vues troublées, reconnut qu’il était impossible aux frégates de tromper la vigilance de la croisière[1]. L’amiral Martin ouvrit l’avis que l’Empereur gagnât

  1. L’opinion du Conseil fut déterminée par l’avis que, « depuis le 29 juin, la croisière avait doublé le nombre de ses bâtimens. » Ce renseignement était faux. Le 29 juin, il y avait devant les pertuis le Bellérophon et les deux bricks ou corvettes le Cephalus et le Myrmidon ; le 3 juillet, il y avait devant ces mêmes pertuis le Bellérophon et la corvette la Phœbé (le Cephalus avait été envoyé devant la Teste et le Myrmidon détaché au large de Bordeaux).
    Pour conclure, il n’était point plus « impossible » de sortir de la rade de Rochefort, où l’on avait trois accès différens sur la mer et que surveillaient un vaisseau et un brick, qu’il n’était impossible de sortir de la Gironde, dont l’embouchure était gardée par deux frégates et deux petits bâtimens. Or, le capitaine Baudin allait s’offrir à sortir de la Gironde, en répondant du succès. Maitland, d’ailleurs, le commandant du Bellérophon, a reconnu plus tard qu’il n’y avait pas impossibilité à sortir de la rade de Rochefort.