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vol de bois ; qu’ils menacent les autres « de les mettre collecteurs » d’impôts, ce qui ne leur laisserait plus le temps de garder ; qu’ils « les surtaxent à la taille et autres impositions ; » qu’ils font en un mot leur possible pour rendre la position du personnel intenable. En conséquence, Mademoiselle demandait au Roi qu’il fût « particulièrement défendu aux riverains de tenir chez eux et de porter armes à feu ou autres armes de défense, » et qu’il fût au contraire permis à ses gardes d’être armés. Elle réclamait aussi pour eux certains privilèges qui devaient leur permettre de punir les délinquans.

Louis XIV accorda tout, et l’on put arrêter les déprédations ; à la mort de Mademoiselle, la forêt d’Eu était remise en futaies. Quant à supprimer les « usagers, » Mademoiselle avait beau être cousine germaine du Roi, son pouvoir n’allait pas jusque-là. Il fallut se borner à les empêcher de multiplier, et à limiter leurs exigences. Entre eux et le propriétaire, l’état d’hostilité était chronique. Du reste, il existe encore des « usagers » en France ; chacun peut observer sur le vif les inconvéniens du système.

Le seul des intéressés qui ne tira pas son épingle du jeu fut le petit prince de Joinville. Ses créanciers avaient continué leurs manœuvres pour éviter un règlement. Le 27 mars 1661, le Parlement de Paris rendit un arrêt qui les obligeait à se laisser payer. Il y avait alors huit ans de la mort du duc de Joyeuse. Les deux millions de dettes avaient fait la boule. Quand tout fut terminé, au lieu d’avoir un reliquat pour leur pupille, les tuteurs se trouvèrent en face d’un déficit de plus de 150 000 livres[1]. Nous avions déjà vu Gaston dilapider impunément, en sa qualité de chef de la Maison, la fortune de sa fille mineure. Ici, c’est au contraire la disparition du père de famille qui permet de dépouiller un enfant. Mazarin avait laissé faire Gaston pour punir Mademoiselle de sa conduite pendant la Fronde. Louis XIV semble avoir pris peu d’intérêt au rejeton de la turbulente et ambitieuse famille de Guise. Dans l’un et l’autre cas, les bonnes ou mauvaises dispositions de la royauté avaient décidé de l’issue d’une affaire d’argent.

Mademoiselle avait pris possession officielle d’Eu le 24 août

  1. Les dettes se montèrent, exactement, à 2 700 718 livres 18 sols (Liste des créanciers, etc. Archives du château d’Eu). On a vu que Mademoiselle avait acheté Eu 2 550 000 livres.