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1661. On lui avait ménagé une entrée comme elle les aimait, avec cortège, drapeaux, harangues, lanternes vénitiennes, salves de mousqueterie et de « toute l’artillerie de la ville[1], » douze pièces de canon et quarante « boëtes, » sur les remparts, huit canons et quarante « boëtes » sur la terrasse du château. Elle, revint l’année suivante, mais ne s’installa vraiment à Eu qu’en 1663, après avoir obtenu la permission de quitter Saint-Fargeau : « Je vins ici, résolue d’y passer mon hiver, sans en avoir aucun chagrin. » Elle regardait travailler ses ouvriers, se promenait beaucoup et devenait assidue aux offices. On venait la voir : « — Il y avait quantité de dames du pays, raisonnables ; force gens de qualité ; ma cour était grosse. Il vint des comédiens s’offrir ; mais je n’étais plus d’humeur à cela ; je commençais à m’en rebuter. Je lisais ; je travaillais ; les jours d’écrire emportaient du temps ; toutes ces choses le font passer insensiblement. » Cette page des Mémoires laisse entrevoir une vie assez terne. Une lettre de Mademoiselle à Bussy-Rabutin confirme et accentue l’impression :


À Eu, ce 28 novembre 1663.

« Voici l’unique réponse à vos lettres. Je prétends que vous m’en écriviez quatre contre moi une, et je crois que je vous ferai plaisir ; car que peut-on mander d’un désert comme celui-ci, où l’on ne verra personne de tout l’hiver, les chemins étant impraticables pour les gens de lointaine contrée, comme vous pourriez dire vers Paris, et les vents étant tels dans les plaines par où il faut que les voisins viennent, qu’il n’y en a pas un qui ne redoute le nord-ouest, qui est fréquent en ce pays, comme une bête farouche. Ainsi j’aurai le temps de lire les lettres qu’on m’écrira, et peu d’esprit, encore moins de matière, pour y répondre… »

La situation du château d’Eu est mélancolique, le vent de mer véritablement « farouche » aux environs. Les gazettes de Paris apportaient des descriptions de fêtes et des visions de gloire qui contrastaient avec la médiocrité d’une cour provinciale. Mademoiselle avait beau être décidée à ne pas s’ennuyer, elle éprouvait comme toute la France que, loin du Roi, la vie n’était plus la vie : ce n’en était plus que l’ombre.

  1. Le récit de l’entrée de Mademoiselle est aux Archives du château d’Eu.