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Royan à cheval ou sur un canot. Il trouverait à l’embouchure de la Gironde la corvette la Bayadère, commandée par le capitaine Baudin. « Je connais Baudin, dit l’amiral. C’est le seul homme capable de conduire l’Empereur sain et sauf en Amérique. » Cette proposition acceptée en principe, Bonnefous envoya un courrier à Royan. Le lendemain, dans la soirée, on reçut la réponse de Baudin. Il se faisait fort de conduire l’Empereur en Amérique soit sur l’une de ses deux corvettes la Bayadère et l’Infatigable, soit à bord du Pike, bâtiment américain, d’une extraordinaire rapidité de marche, qu’il convoierait avec ses corvettes. » En cas de rencontre, écrivait le futur amiral, je me dévouerai avec la Bayadère et l’Infatigable pour barrer le passage à l’ennemi. Quelque supérieur qu’il puisse être, je suis sûr de l’arrêter[1]. »

L’Empereur agréa ce projet, mais il ne se hâta point de s’y prêter. Si les frégates avaient eu la mer libre et le vent favorable, il se fût embarqué sur l’heure. Son ferme dessein était d’aller vivre une vie nouvelle en Amérique, et il lui paraissait conforme à sa dignité de quitter la France sur un bâtiment de l’Etat avec les honneurs impériaux. Mais son départ dans ces conditions se trouvant empêché ou ajourné, il temporisa. Avant que de s’évader à bord d’un navire américain, ne fallait-il pas attendre quelques jours ? Les vents pouvaient tourner, la surveillance de la

  1. Lettre de Baudin à Bonnefous, en rade du Verdon, 5 juillet, quatre heures du matin. — Toute cette lettre de Baudin est simplement admirable. En voici les dernières lignes : « L’Empereur peut se fier à moi. J’ai été opposé de principes et d’action à sa tentative de remonter sur le trône, parce que je la considérais comme devant être funeste à la France, et certes les événemens n’ont que trop justifié mes prévisions. Aujourd’hui, il n’est rien que je ne sois disposé à entreprendre pour épargner à notre patrie l’humiliation de voir son souverain tomber entre les mains de notre plus implacable ennemi. Mon père est mort de joie en apprenant le retour d’Egypte du général Bonaparte. Je mourrais de douleur de voir l’Empereur quitter la France, si je pensais qu’en y restant il pût encore quelque chose pour elle. Mais il faut qu’il ne la quitte que pour aller vivre honoré dans un pays libre, et non pour mourir prisonnier de ses ennemis. »