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Dunkerque[1], il passa devant un Olympe en plâtre, fabriqué pour la circonstance. Il vit « Neptune, qui, par respect, baissait son trident… les Génies de la terre et de la mer prosternés devant ce grand prince, » c’est-à-dire devant lui, et il permit que son journal officiel régalât le pays de ces sottises : il est clair qu’à ses yeux, Neptune et sa cour ne faisaient que leur devoir. On était en train de le déifier ; il se laissait faire, et même avec plaisir. Ce fut la perte de cet homme né avec tant de bon sens, et qui avait des parties si supérieures.

L’éclat de sa Cour, dont l’honneur lui revenait, contribuait aussi à l’éblouissement général. Ce n’était pas encore la foule ininterrompue de vingt ans plus tard, quand le château de Versailles fut achevé et que Louis XIV tint sa noblesse logée sous sa main[2], ne bougeant d’auprès de lui que pour faire campagne. La jeune Cour ne fut jamais très nombreuse que par intermittences. On verra tout à l’heure combien elle, avait été grosse en mai 1664. Le 27 du mois suivant, le duc d’Enghien écrivait de Fontainebleau : « Il n’y a pas presque point de femmes ici, et fort peu d’hommes. Jamais la Cour n’a été aussi petite[3]. »

Le 16 août, aussi à Fontainebleau, la Reine-mère donne un bal ; elle n’a que seize danseuses et autant de danseurs[4]. En octobre, la Cour est à Paris et le Roi donne une fête : « Le bal n’était point beau, écrit le grand Condé, la plupart des dames étaient encore aux champs. Il ne s’en trouva dans tout Paris que quatorze[5]. » Dans ces premières années, la noblesse n’était pas encouragée à tout quitter pour venir vivre dans l’ombre du trône. Ceux qui avaient des charges en province « obtenaient difficilement des congés[6] ; » ceux qui manquaient d’argent pour paraître avec magnificence avaient peu d’aide à attendre de la royauté ; la pluie d’or ne commença que plus tard, et Louis XIV passait même pour serré ; « Outre son humeur naturelle, disait Condé, qui n’est pas fort portée à faire de grandes

  1. Louis XIV avait acheté Dunkerque au roi d’Angleterre. La ville fut livrée le 21 novembre 1662. Pour l’entrée du Roi, voir la Gazette.
  2. Louis XIV s’est installé à Versailles, à demeure, le 6 mai 1682.
  3. Lettre à la reine de Pologne, Marie de Gonzague (Archives de Chantilly). Le duc d’Enghien avait épousé, le 11 décembre 1663, Anne de Bavière, fille de la princesse palatine et nièce de Marie de Gonzague.
  4. Journal d’Olivier d’Ormesson.
  5. Lettre du 31 octobre, à la reine de Pologne (Archives de Chantilly).
  6. Cf. De La Vallière à Montespan, par Jean Lemoine et André Lichtenberger.