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dire et ses agens ont fait à Rome ce qu’il fallait faire. Il y en a un pourtant qui n’a rien dit ni rien fait, et qui en avait une excellente raison. Au moment de la mort du Pape, M. Barrère avait quitté Rome pour se rendre aux eaux. Il n’y est point revenu au moment du Conclave, qui n’a communiqué avec le Montecatini ni par lettres ni par pigeons voyageurs. La toile donc « n’a point débordé de son cadre », où il est vrai qu’elle brille d’un vif éclat. M. Nisard, son conseiller et ses secrétaires ont agi avec un tact et un sentiment des convenances auxquels rendent hommage tous ceux qui les ont approchés pendant ces jours agités. Ils avouaient hautement leurs préférences pour le cardinal Rampolla. Quel Français pouvait repousser un candidat auquel on a surtout reproché de trop aimer la France ? Mais ils ne commettaient pas la faute de parler haut, de menacer du veto, de se montrer exclusifs et de courir ainsi le risque d’une défaite humiliante, et ils déclaraient qu’ils n’avaient peur d’aucun des papabili désignés par l’opinion, parce que tous avaient donné des gages de sympathie à la France. C’était vrai, et c’était habile. M. de Navenne, qui était lié avec le cardinal Rampolla depuis sa nonciature de Madrid, n’a pas eu besoin d’être rappelé à l’ordre par M. Delcassé, et la supposition hasardeuse qu’il ait voulu par le même procédé satisfaire à la fois la société aristocratique et M. Combes ne tient pas debout. Enfin nous ne savons pas de quels ecclésiastiques l’illustre écrivain a emprunté les yeux pour apercevoir le dissentiment qu’il signale entre les trois prélats français. Ces messieurs se croyaient les meilleurs amis du monde et n’ont jamais eu ensemble l’ombre d’un différend, même au sujet des candidats à la tiare. Aussi bien rien ne les obligeait-il à « marcher ensemble » vers la chapelle Sixtine où, malheureusement, un seul des trois pouvait entrer. Ce qui est exact, c’est que Romains et étrangers se passionnaient également pour l’élection pontificale, ne parlaient plus d’autre chose et discutaient sans cesse les mêmes noms en supputant les chances de chacun d’eux. Le peuple même s’en mêlait : M. Lamy rapporte le propos de sa femme de chambre qui ne voulait point de Rampolla, lui trouvant l’air dur. Un cocher refusait sa voix à Serafino Vannutelli, parce qu’il avait un frère cardinal et que cela ferait deux papes. Rome était remplie d’un immense bourdonnement de mouches et de guêpes du coche qui, au bout de quelques jours, devint souverainement agaçant, si bien qu’une femme d’esprit, après