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respectée et n’y eut-il aucune communication illicite entre les cinq cents personnes enfermées et le dehors ? Ce qui porte à le croire, c’est la fausseté des renseignemens que les journaux publièrent pendant le conclave sur la question qui passionnait le public : les chiffres des scrutins. Du reste, la surveillance était sérieuse, comme en témoigne la plaisante aventure arrivée au cardinal Coullié. Il disait paisiblement son bréviaire dans sa cellule quand arrive un Monsignor tout effaré : « Eminence, il y a un objet blanc qui flotte à votre fenêtre et qui paraît être un signal. On est venu nous le dire au tour. — Monseigneur, je vous assure qu’il n’y a aucun objet blanc à ma fenêtre. » On vérifie en montant sur des chaises : le cardinal Coullié était innocent, mais il y avait bien un objet blanc à la fenêtre supérieure. Au-dessus de l’archevêque de Lyon logeait un cardinal sujet à transpirer : c’était une de ses chemises qui séchait innocemment au soleil et ne renfermait dans ses plis aucun secret coupable.

C’est dans ces conditions matérielles que le Sacré-Collège vécut du vendredi soir 31 juillet au mardi soir 4 août. Que se passa-t-il dans ce magnifique couvent si bien fermé ? M. Lamy compare spirituellement un conclave à ces vases espagnols appelés alcarazas qui perdent par l’évaporation une partie de leur liquide tout en restant bouchés. Seulement, pour recueillir la vapeur d’eau, il faut une petite opération qui peut altérer le liquide, et il semble que l’alambic de M. Lamy n’ait pas fonctionné d’une façon irréprochable. Nous avons essayé de puiser à l’alcarâzza même, car le secret indispensable pendant l’élection oblige moins étroitement après, comme il paraît bien par les divulgations qui se sont produites depuis le mois d’août dernier et par les écrits publiés sur les conclaves d’autrefois par des témoins comme Retz, Maury et Consalvi.

Depuis la suppression du pouvoir temporel, c’était la seconde fois que le conclave se tenait, suivant l’expression de Pie IX et de Léon XIII, sub potestate hostili, dans la Rome pontificale réduite à sa domination spirituelle et cernée par la Rome de l’Italie nouvelle. A la fin du XVIIIe siècle, le Pape ayant été chassé par la Révolution française pour aller mourir en exil, le Sacré-Collège avait demandé asile à l’Autriche et s’était rendu à Venise, sub potestate amica, pour élire le successeur de Pie VI. Chose singulière ! les deux conclaves de 1878 et de 1903 ont été plus libres que celui de Venise. L’Autriche, dirigée par le ministre